La rupture du cercle d’Occident 

Tout prédisposait Debussy à succomber aux charmes de l’Orient. Sa passion pour l’ailleurs, qui le porte aussi naturellement vers un Orient mythique que vers une Espagne de rêve. Sa curiosité artistique qu’il nourrit dans de nombreuses manifestations culturelles variées. Son langage musical, où peut s’intégrer sans heurts la gamme pentatonique  et les ambiguïtés modales orientales. Mais contrairement à ses aînés qui  revêtaient leur langage foncièrement occidental de quelques oripeaux exotiques, Debussy tente d’opérer une véritable fusion stylistique. Et cette rencontre avec une tradition aussi puissante que la tradition occidentale mais codifiée autrement donne au compositeur français l’occasion de rompre avec les éléments traditionnels de cette dernière. Cette remise en question secoue tous les paramètres de la musique : construction de la musique à partir des sons, rejet du dynamisme beethovénien au profit de formes statiques ouvertes, fragments d’éternité sans début ni fin, élargissement des modes par l’emploi d’échelle modales plus variées, dissolution des jeux harmoniques classique de dissonance - résolution, nouvelle conception du temps musical. Ce simple énoncé de fait permet déjà de voir les influences orientale se marquer dans le langage.

               

Des partitions

Estampes

Avec Estampes, Debussy commence sa maturité artistique dans le domaine du piano. Tous les canons en usage explosent : le compositeur n’aligne plus des notes, il combine des sonorités. La première pièce Pagodes nous emmène en Extrême-Orient et plus précisément en Indonésie à Bali. Le piano évoque les sonorités du gamelang entendu lors de l’exposition de 1889 : tout d’abord, les résonances cristallines des percussions balinaises : gongs, cloches, cymbales, ensuite les jeux très riches de superpositions rythmiques. Le thème principal est écrit dans une gamme pentatonique d’inspiration asiatique. Dans le même esprit de suggestion, Debussy a recourt à d’autres procédés musicaux pour les pièces suivantes : le rythme de Habanera nous évoque les souvenirs mélancoliques et hautains d’une tiède nuit andalouse, et les chansons populaires françaises Nous n’irons plus au bois et Do, do, l’enfant do…décrit un après-midi d’orage en France.

             

Images pour piano, (2e série)

Dans la seconde série des Images pour piano, Debussy, plus que dans la première série, va explorer l’exotisme et le côté immatériel des choses. La première pièce, Cloches à travers les feuilles, se rapporte à une ancienne coutume des campagnes jurassiennes qui veut que le glas sonne depuis les vêpres de la Toussaint jusqu’à la Messe des Morts. Les deux pièces suivantes renouent avec l’Orient.  Et la lune descend sur le temple qui fut explore la diversité des sonorités dans le grave. Cette variété résulte d’une écriture « en couche » notée sur trois portées. La troisième, Poissons d’or, a été inspirée par une superbe laque noire rehaussée de nacre et d’or qui décorait son bureau. Dédiée au pianiste Ricardo Viñes, cette pièce brillante propose une étude de sonorités étincelantes par l’entremise de juxtapositions de trilles, trémolos d’arpèges cabriolant. Ici, plus de références directes au monde oriental. L’exotisme a permit une libération en profondeur de l’écriture en dehors de toute utilisation d’ingrédients pittoresques.

             



[1] Une gamme pentatonique est une gamme à cinq sons, sans utilisation de note sensible, très utilisée dans la musique chinoise. On obtient facilement une gamme pentatonique au piano en ne jouant que sur les touches noires.

Suite

Sommaire Debussy & l'Orientalisme

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