Reconnaissance tardive de la femme compositrice - 3

 
Betsy Jolas - FJ7554

 

 

 

 

Ève, la fautive

La censure cyclique des références historiques opère en étroite collaboration avec l'idéologie naturaliste, très répandue dans l'univers musical et qui sévit durement parmi les musicologues, critiques et professionnels divers. Ceux-ci attribuent à l'instinct sexuel un rôle primordial dans la génération des oeuvres; par là, ils essayent implicitement d'établir qu'elle est, par nature, l'apanage des hommes. Dans leur chef, il n'est donc pas question d'apprentissage, de travail, ni même d'intelligence. Non, il apparaît comme normal que les femmes ne composent pas. Que tout au plus, elles soient confinées dans le rôle de muses, source d'inspiration des grands hommes.

Cette forme de pensée tyrannique, qui tend à établir la supériorité de l'un sur l'autre, est largement ancrée dans notre imaginaire. Elle reposerait sur des préceptes imprescriptibles de notre morale judéo-chrétienne. En effet, c'est au Moyen Âge que l'Église élabore une réflexion sur la musique, réflexion qui renvoie aux questions posées par l'existence même de la femme.

Initialement, le féminin c'est Ève, l'"auteur de la faute". Ève dont toutes les femmes sont indéfiniment la reproduction. La femme est définie comme cette séduisante corruptrice (déjà présente dans les grands mythes tel que celui bien connu des marins attirés vers les funestes rochers par les chants suaves des sirènes) qui doit expier par le silence. Au VIe siècle, le concile d'Autun interdit le chant des femmes et des jeunes filles à l'église mais elles auront quand même le droit de chanter dans les couvents.

Complémentairement à l'idéologie naturaliste, les arguments morpho-logiques tentent de démontrer l'infériorité de la musculation et de la conformation physiologique des femmes, infériorité qui les empêcherait de pratiquer certains instruments et, de ce fait, d'aborder la musique avec les mêmes chances.

Déjà dans les temps reculés, alors que la musique avait avant tout une fonction religieuse, celle de communiquer avec les dieux, on choisissait la personne la plus robuste physiquement pour exercer la double fonction de chef et de sorcier. Donc, l'homme le plus fort, le plus adroit ou le plus expérimenté pour chasser et pêcher et donc préserver la vie du groupe, était aussi l'intercesseur auprès des divinités. Ce chef devait procéder aux incantations magiques musicales dans le but de faire tomber la pluie, de l'arrêter, etc... Par cette analogie entre la force physique et le caractère spirituel, la femme était tenue écartée des tâches pénibles et dangereuses pour assurer la procréation. Elle se trouvait, pour un long temps, éloignée de la création musicale, et parfois même de la simple interprétation.

Les conséquences de ces entraves misogynes sur la création féminine sont principalement d'ordre psychologique. Dites à n'importe quel être humain, dès sa prime enfance, qu'il est un être relatif, gommé avant d'avoir pu faire le premier pas, qu'il ne compte pas vraiment dans la société, et vous aurez, à quelques exceptions près, un être gommé, effacé, relatif. La création sous-entend la conscience du monde, une existence dans le présent, des désirs... tout un ensemble de comportements qui supposent de la part de chaque individu une autonomie, une perception de soi, une confiance en soi.

Outre la difficulté du vide et du vertige inhérents à la création, la femme qui compose doit affronter toutes ces contingences culturelles et s'astreindre spirituellement à placer la barre beaucoup plus haut. Betsy Jolas témoigne de ce mécanisme en ces termes (1) : "Je me disais que je ne pouvais pas être compositeur, parce que j'avais placé mes buts tellement hauts, ce que ne fait pas un homme, qu'il fallait que je sois Bach ou Beethoven ou rien du tout."

Si les femmes sont rares dans la profession, ce n'est pas faute de talent mais, de ténacité. Combien abandonnent ? Combien n'ont même pas envisagé d'essayer parce qu'elles ne croyaient pas être admises dans la profession.

Malgré une réprobation plus ou moins persistante, certaines se sont appliquées à l'élaboration d'une oeuvre musicale.

(1) in : Femmes en mouvements. - Avril 1978


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