Le classique américain et le jazz
A la recherche d'une identité.
D'Europe, les immigrés avaient bien sûr amené
leurs traditions musicales, leurs chants et leurs danses, mais aussi une
musique plus savante enseignée dans les écoles. Les nouveaux Américains
auront beaucoup de mal à se démarquer de leurs ancêtres européens et,
avant le 20e siècle, il est difficile de parler d'une école
américaine vraiment originale. Or, le souci de créer une musique
nationale n'est certes pas absent de leurs préoccupations. Sur base du
folklore américain, aussi bien blanc que noir ou indien, certains
s'évertuent à donner un caractère américain à leur musique. Mais ce
sera surtout le talent personnel du compositeur assimilant tradition
nationale, enseignement savant et expérimentation propre qui donnera
naissance à des oeuvres de valeur et dont le caractère américain sera
indéniable.
Quel rôle le jazz joue-t-il ici ? Plus proche
des lieux où il se pratique, on peut supposer qu'il est mieux connu. Sans
doute l'emprunt au jazz participe-t-il du souhait d'américaniser la
création musicale. Quelques compositeurs tentent effectivement
d'intégrer rapidement des éléments de jazz à leur oeuvre.
Réalisations qui n'ont pas toujours laissé de souvenirs impérissables,
faute sans doute de réel génie (Carpenter,
Gruenberg,
Sowerby).
Cependant, certains réussiront à nous donner des réalisations de haute
valeur. Parmi les plus talentueux, Aaron
Copland, (1900 - 1990),
s'intéressera aux oppositions de rythmes et à la polyrythmie du jazz
qu'il considère comme son plus grand apport. Ces éléments se retrouvent
dans Music for a Theatre (1925) et surtout dans son Concerto
pour piano (1926). Il se rend cependant rapidement compte des limites
de ces expériences et ne persistera pas dans ce sens.
Il y a aussi George
Antheil, l'enfant terrible,
le bad boy, comme il se qualifiait lui-même. On ne peut pas vraiment lui
reconnaître une conscience américaine. Il éprouvait plutôt une forte
attirance pour l'avant-garde française qu'il connut à Paris où il
adhéra au dadaïsme. Il se voulait non-conformiste. Au même moment que
son œuvre révolutionnaire, le Ballet mécanique et son
instrumentation étonnante : trompes d'autos, sonnettes électriques,
enclumes, etc. , naîtra en 1936 une Jazz-Symphony qui participe au
même courant frondeur, la volonté de bouleverser les usages musicaux.
Quoique l'inspiration jazz se retrouve encore bien plus tard, comme par
exemple dans le final de sa Troisième sonate pour piano de 1947,
celle-ci sera pratiquement abandonnée dès son retour aux Etats-Unis.
Enfin, il y a le cas George
Gershwin, ce musicien inclassable et si américain
cependant. Rejeté par les jazzmen qui ne le considèrent pas comme l'un
des leurs, il est souvent méprisé par les classiques qui lui reprochent
une certaine carence de métier, si pas un goût contestable. Il fut
néanmoins défendu par Arnold Schoenberg qui lui reconnut une
incontestable originalité. Il orchestra d'ailleurs ses 3 préludes
pour piano.
Lorsque Paul Whiteman le contacta pour composer
un Concerto qui devait concilier musique classique et jazz, George
Gershwin n'était certes plus un inconnu. Plusieurs chansons à succès,
dont le célèbre Swanee en avaient déjà fait un compositeur en
vogue dans le monde de la variété. De sa rencontre avec Paul Whiteman
naîtra la Rhapsody in Blue. L'intention était bien de réunir la
forme du concerto classique et des éléments de jazz. Le succès en fut
immédiat. Et de ce succès naquirent une série d'oeuvres de caractère
hybride, toutefois appréciées d'un large public: un Concerto pour
piano, une Seconde rapsodie, Un Américain à Paris, et
même un opéra Porgy and Bess. La clef du succès , on le doit
sans doute au dynamisme , à la fraîcheur des mélodies, à la
séduisante coloration des timbres - qui ne garde en mémoire le glissando
d'entrée de la trompette dans Rhapsody in Blue ?
Acceptée ou non, cette tentative de mêler
musique populaire et musique sérieuse aura fait de Gershwin l'initiateur
d'une école américaine créatrice de nombreux musicals, mélange de
"swing" et de formules de composition classique.
Leonard Bernstein fut non seulement bon pianiste,
grand chef d'orchestre et compositeur, il fut également un excellent
propagateur de la musique au travers d'émissions radio à la CBS. C'est
lors d'une des ces émissions What is jazz ?
qu'il exprima sa
connaissance et surtout son amour du jazz. Le succès d'écoute fut
énorme. [cf. GD
5599]. A ceux qui prétendaient que le jazz n'avait pas
influencé la composition classique ou du moins ne représentait qu'une
dégénerescence pompière et condescendante, il répondit que le scherzo
de sa Symphonie "Jeremiah" n'aurait pu être écrit si le
jazz n'avait pas fait partie intégrante de sa vie. De sa production
influencée par le jazz, on retiendra les Préludes, fugues & Riffs
(Riffs : brèves formules rythmiques, répétées à la manière
d'ostinatos), mais aussi ses comédies musicales et ballets au style si
américain qui reflètent son observation aiguë du jazz: West Side
Story, On the Town, Wonderful Town et bien d'autres.
Plus éclectique que le jazz symphonique de Paul
Whiteman des années 20 sera le "Third Stream", terme inventé par
Gunther Schuller vers la fin des années 50. Tentative de mêler non
seulement les caractéristiques et les techniques d'un classique
contemporain aux éléments de base du jazz, il se réfère également aux
musiques populaires et traditionnelles. Mouvement très controversé et
qui n'échappe pas au danger d'une approche superficielle des divers
courants qui traversaient le monde musical du moment.
Ce même état d'esprit sera aussi celui de
l'oeuvre de Donald Erb dont les Remembraces (1994), oeuvre dans
laquelle il se souvient avoir été trompettiste de jazz.