Rencontres et convergences 

Que le jazz ait exercé une attraction sur les musiciens classiques ne fait pas de doute. L'industrie discographique aura largement contribué à faire connaître le jazz. Une manière différente d'aborder la musique s'offrit au musicien "savant". L'enseignement musical lui avait appris de respecter le plus fidèlement possible l'idée créatrice d'un compositeur. Le musicien de jazz se sert au contraire de la composition comme support à l'expression de son art ; partant d'une ligne mélodique, il explore toutes les possibilités qu'elle lui offre ; il l'arrange selon l'inspiration du moment, au besoin elle devient prétexte à de longs passages d'improvisation.

Entre le monde classique et celui du jazz, les contacts furent nombreux. Les musiciens se vouaient une admiration mutuelle. La virtuosité, celle d'Art Tatum par exemple, était également louée, que l'on fût musicien de jazz ou classique. On connaît l'estime dont faisait l'objet Benny Goodman et des compositeurs composent pour lui. A l'instar d'un Benny Goodman, nombre de virtuoses de jazz interpréteront les grandes oeuvres du répertoire classique: Michel Portal, les Marsalis, Keith Jarrett. Chick Corea découvre Mozart grâce à Friedrich Gulda, lequel s'avère être aussi un pianiste de jazz apprécié. Yehudi Menuhin joue avec Stéphane Grapelli Quelques musiciens de jazz s'adonnent à la composition classique (Keith Jarrett, Chick Corea) . Pianiste de jazz, André Prévin est aussi un excellent chef d'orchestre et compositeur. Des interprètes classiques rendent hommage aux plus grands du jazz: Thibaudet joue Bill Evans et Duke Ellington (UT2620, UT2621), Daniel Barenboim consacre un enregistrement à Duke Ellington. (UB1123 )..... Ces contacts ne pouvaient qu'influer l'évolution future de la création musicale.

                 

En composition classique, les ensembles plus réduits seront fréquemment préférés aux grands orchestres. Les derniers siècles avaient souvent accordé la prédominance aux cordes, plus particulièrement aux violons. Au courant de ce siècle, ils cesseront de régner en maîtres. A l'exemple des formations de jazz, instruments divers acquièrent une nouvelle vie et se côtoient dans des ensembles, quelquefois des plus hétéroclites. Chaque instrument devient soliste et se fait entendre. Le timbre propre de l'instrument, sa coloration, sont mis en valeur. Certains sont particulièrement remis à l'honneur : la clarinette et plus particulièrement la clarinette basse, le saxophone, le trombone, la trompette, la contrebasse, la guitare, les percussions. La batterie fait son entrée dans la musique classique.

Les tempi s'enrichissent d'audaces que l'auditeur est prêt à accepter. Syncopes, élisions, entorses diverses font désormais partie du langage. Les règles d'harmonie s'assouplissent. on ne craint plus la dissonance. Les sons se colorent d'effets, glissent, dérapent, sont poussés et déformés. On procède par petites touches sonores... 

En perpétuelle quête de renouvellement, le jazz s'est intéressé aux trouvailles de novateurs classiques : le traitement de l'objet sonore chez Varèse, la musique sérielle et le dodécaphonisme de Schoenberg, la musique électronique de Stockhausen. Le swing se perd, la mélodie, comme en classique, est souvent abandonnée ou est à peine évoquée. La spontanéité du trait musical en jazz devient moins évidente, au profit de formules de plus en plus réfléchies. N'échappant pas au reproche d'une trop grande cérébralité., le free-jazz (Anthony Braxton, Phill Niblock, Evan Parker...) tend à se rapprocher d'une certaine avant-garde qui, parallèlement, s'efforce de se libérer d'une écriture stricte, introduit la notion d'imprévu; la musique aléatoire laisse à l'interprète une grande liberté d'exécution quant au moment et la manière de son intervention. Quelques uns parmi les compositeurs contemporains ont une très bonne connaissance des techniques de jazz, pour l'avoir pratiqué eux-mêmes. Karlheinz Stockhausen fut pianiste de jazz, avant de se consacrer à la composition. Il est intéressant d'écouter la version que donne son fils, le trompettiste de jazz, Marcus Stockhausen, d'Aries, In Freundschaft, Halt et Piétà (FS7235). Une façon de jouer de l'instrument qui doit beaucoup au jazz.

Fortement influencé par le free-jazz, il y a Hans-Joachim Hespos (né en 1938), au langage infiniment personnel. De la jeune génération, Pascal Dusapin (né en 1955) hésita à entamer une carrière de jazz dans lequel il excelle. Il affectionne les petites pièces courtes dédiées à un ou peu d'instruments, musique qui procède par petites touches fulgurantes qui n'est pas sans rappeler le free-jazz.

                 

L'accointance avec le jazz est beaucoup plus évidente dans l'oeuvre de Heiner Goebbels (né en 1952) qui travaille en étroite collaboration avec l'Ensemble Modern et leur chef Peter Rundel, ensemble très significatif de ce rapprochement des tendances actuelles en jazz et classique contemporain. Avec l'Ensemble Modern aussi, mais totalement impliqué dans le jazz, Mark-Anthony Turnage (né en 1960) inclut un élément d'improvisation dans sa pièce Blood on the Floor.

        

Ce rapprochement "classique" et "jazz" sera défendu par des éditions telles que ECM (Keith Jarreth, Chick Correa, Jan Garbarek) ou HAT ART dans un sens beaucoup plus avant-gardiste (les interprétations de Marcus Weiss, saxophoniste, Jo Kondo, Polwechsel entre composition et improvisation ...). Artistes cités parmi d'autres que la limite donnée à cet aperçu ne nous permet pas de citer. Ainsi nous arrivons au coeur de la musique actuelle : un art de la composition qui serait l'héritage classique, un engagement et une indépendance dans l'interprétation qui seraient les grands apports du jazz. Nous sommes bien loin de pouvoir en donner une analyse satisfaisante à ce jour. Est-ce encore du jazz, est-ce encore du classique ? Qu'importe les dénominations. Il nous semble cependant que ces 2 courants participent au besoin permanent de création et de renouveau propres à l'esprit humain. Nous espérons, que la veine créative ne se laissera pas étouffer par la chasse au succès immédiat et par une nécessité de rentabilité commerciale. Le choc entre différentes cultures a toujours été engendré des réalisations nouvelles qu'il nous sera donné de découvrir, d'aimer et qui nous tiendront toujours en éveil.

 

 

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