La mélodie : tentative de définition

La mélodie  est un vocable d’emploi constant et généralisé. D’étymologie confuse, il est en fait singulièrement difficile à définir et à délimiter… Il est symptomatique que le Guide de la mélodie et du lied paru chez Fayard contourne ce problème de base, alors qu’il contient un excellent glossaire.

Il faut remarquer que le mot français mélodie est à double sens.

Tout d'abord, et dans l'acception la plus courante du terme, il signifie une composition musicale formée de motifs ou phrases facilement perceptibles et agréables. Néanmoins, définie comme tel, il n'en est pas moins source de confusions en milieu anglophone, germanophone ou scandinave où l’on ne le prendra jamais spontanément pour un équivalent - même approximatif - de « song », « tune », « lied » ou « romansk ». C’est cependant comme cela, grossièrement parlant, qu’il faudra l’entendre ici.

Notons par ailleurs que, dans l’autre acception du mot français, les musicologues se sont disputés de longue date sur ce que pouvait être – ou ne pas être - la mélodie entendue comme ensemble et succession de notes. Les traités sont prolixes à cet égard… On serait donc tenté, pour ne dresser arbitrairement aucune digue, d’adopter celle-ci, très confortablement extensive : « sons assemblés dans un temps musical en relation avec des conventions et contraintes culturelles données ».

Cette définition tolérante se justifie notamment en regard de l’évolution du langage musical occidental, surtout depuis le début du 20e siècle.

Aussi longtemps que la tonalité a régné en souveraine, le problème des limites au-delà desquelles le concept de « mélodie » tend à se désagréger, puis à disparaître, ne s’est pas vraiment posé. Par la suite, il en est devenu peu à peu autrement. S’il est naturellement possible de parler de mélodie atonale – l’atonalité ne constituant pas moins que les systèmes précédents un ensemble de conventions et de contraintes - il arrive un point où le traitement du chant (exprimant ou non un texte) ou de tout autre moyen d’expression musicale finit par échapper à l’essentiel des références culturelles renvoyant à ce que nous tendons à reconnaître instinctivement comme « mélodique ».

Ce point reste néanmoins d’ordre largement subjectif. Nous nous souvenons qu’interrogé sur l’absence quasi complète de production vocale dans son œuvre, Magnus Lindberg a répondu à peu près ceci : "qu’il ne pouvait concevoir de traiter la voix en dehors de la mélodie et que cette approche ne correspondait pas, pour le moment du moins, à sa recherche musicale". Cette réponse parfaitement objective d’un compositeur à l’intelligence justement appréciée laisse ouverte la question de délimiter très exactement ce qu’il devrait modifier de son langage pour que la mélodie - entendue ainsi par lui ou quelqu’un d’autre - y soit à nouveau intégrée

Sa compatriote et contemporaine Kaja Saariaho, pour sa part, a composé régulièrement pour une ou plusieurs voix (exprimant ou non un texte) et il nous paraîtrait difficile de ne pas inscrire certaines de ses compositions, et même beaucoup de ses partitions vocales, dans une histoire de la mélodie… Saariaho n’en est pas pour autant une compositrice rétrograde. Certes, lorsqu’elle traite la voix, elle tend généralement à le faire d’une manière moins "avancée" que, par exemple, pour la flûte. Cette limitation ne tient pas uniquement aux contraintes physiques de l’instrument; l’appareil phonatoire humain est d’ailleurs capable de maintes prouesses.

On serait tenté d’avancer au moins deux explications fragmentaires à cet égard. La première est que la voix humaine est le seul instrument physiquement doté de mémoire et de conscience. Au-delà de son potentiel organique, il est donc gouverné par une culture et celle-ci reste conditionnée, qu’on le veuille ou non, par un apprentissage tonal et une longue familiarité à cette technique de construction de la musique. Quand un chanteur se plaint, comme le faisait Jules Bastin, de devoir chanter des choses « qu’on ne peut pas mémoriser », il serait imprudent de taxer uniquement cette attitude de paresse ou de conservatisme. Ceci est également valable pour l’auditeur non pratiquant.

L’autre explication tient, dans la mélodie entendue, au sens très approximatif d’ "air sur des paroles", à la symbiose des notes et du texte. Ce dernier, dont la sémantique est fonction d’une syntaxe qui est moins évolutive et moins souple que le langage musical, impose à ce langage des limites – assez imprécises, convenons-en – au-delà ou en dehors desquelles la perception claire du sens du texte tend à se désagréger, que celui-ci soit énoncé ou non dans sa simple continuité. A la mimite, les éléments de ce texte deviennent alors une sorte de support à un traitement purement instrumental de la voix. Il n’a d’ailleurs pas fallu attendre la musique contemporaine occidentale pour rencontrer ce phénomène. Pensons, pour prendre un exemple généralement monodique, à la musique indienne. Dans celle-ci, les développements de l’interprète amènent souvent, au départ d’un élément de texte parfaitement compréhensible, à de longues et complexes digressions musicales où la perception de ce contenu devient aussi malaisée que secondaire.

Ces considérations, plus ou moins convaincantes, ont au moins un mérite : mettre en évidence l’interdépendance organique du texte et de la musique dans la " mélodie " prise dans le sens où nous l'entendons ici. Dans cette passionnante alchimie, la poésie textuelle - pré-existante en principe à l’intervention du compositeur - est sans doute le facteur dominant en ce sens que le musicien va mettre son inspiration et sa technique au service du contenu que l’écrivain lui propose, en essayant de lui apporter une dimension supplémentaire. Ce contenu littéraire peut d’ailleurs s’avérer d’une relative banalité intrinsèque mais se prêter particulièrement à l’exercice, le cas est fréquent dans le lied romantique.

Un des intérêts de l’histoire de la " mélodie nordique " vient de ce que la grande majorité des compositeurs, pour un ensemble de raisons auxquelles nous allons nous attacher, a longtemps entretenu des rapports de méfiance - voire parfois de rejet convaincu - vis-à-vis de l’expérimentation musicale.

Ce conservatisme est non seulement intéressant à titre de " contrepoint" de l’approche historique des grands massifs mélodiques allemands ou français, il est aussi source de réflexions très contemporaines sur la problématique de l’éducation et de la culture musicales collectives. Sans amorcer ici de polémique, prenons sur nous d’affirmer que l’évolution de la musique dite savante a eu, pour conséquence,  au fil du XXe siècle, d’éloigner fortement notre héritage musical de ses bases populaires. Sans que cette assertion recèle, cela va de soi, un quelconque jugement de valeur sur la qualité de cette évolution.

En conclusion, ce dossier traite approximativement la matière (enregistrée) suivante : la mise en musique de poésies ou de textes à caractère littéraire constituant un tout en soi, à l’intention d’une voix généralement unique, accompagnée (sauf exception "a capella") d’un instrumentiste – le plus souvent un pianiste – ou d’un ensemble orchestral allant jusqu’à l’orchestre symphonique, ceci, en gros, de la fin de l’Ancien régime à aujourd’hui.

En principe, on exclut ainsi la plus grande part de la musique vocale dite d’église, l’opéra et les cantates religieuses ou profanes. Ici aussi, cependant, les frontières sont floues; dans certains cas, des airs issus de ces derniers genres ont pu connaître une vogue qui amène à les considérer comme des "mélodies en soi". Il s’agit alors, généralement, de cas où l’interprète se détache en quelque sorte de l’action principale pour mettre en valeur une entité littéraire susceptible d’existence autonome (ballade, récit, chanson, poème etc.).

On exclut aussi la musique dite chorale, à l’égard de laquelle la région du monde qui nous intéresse témoigne, soit dit en passant, d’un zèle probablement sans équivalent, qu’il s’agisse de la production ou de la consommation. Les chœurs, souvent d'un niveau supérieur, y abondent et beaucoup de compositeurs dont nous allons parler ont produit ce type de musique, souvent en abondance. On verra que ce phénomène n’est pas sans rapport avec les caractéristiques générales de la mélodie nordique.

Comme il paraît impossible d’aborder la mélodie "classique" nordique sans faire au moins un détour par ses racines traditionnelles, ce dossier effleure aussi ce dernier domaine.
 

 

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