La percée du modernisme

Les efforts solitaires de Valen marquaient le début de l’ouverture aux nouvelles formes de langage. La période de l’entre-deux-guerres verra la monde musical nordique aborder, pour une bonne part avec une lenteur prudente, les chemins ouverts par Schœnberg et l’Ecole de Vienne.

Ceux-ci sont malaisés pour la mélodie, dont les canons si fermement établis au 19e siècle tendent à se brouiller, puis à se dissoudre. D’une manière générale, le genre va régresser en importance relative. Au niveau international, ces générations connaissent peu de compositeurs de premier plan qui y consacrent encore une part significative de leurs efforts et encore, ces derniers  ne sont-ils pas considérés comme des avant-gardistes à tout crin (Chostakovitch, Britten, Lutoslawski…).

Au Nord comme ailleurs, les compositeurs "modernistes" ne l’aborderont généralement plus que dans les premières années de leur développement. De plus en plus fréquemment, la voix abandonne l’accompagnement pianistique pour s’intégrer dans des compositions orchestrales où elle côtoye parfois d’autres instruments solistes et des masses chorales.

Au niveau des contenus, si les compositeurs continuent à recourir aux poètes et littérateurs nordiques (par exemple la poétesse finno-suédoise Edith Södergran), ils cèdent aussi progressivement à un certain cosmopolitisme d’inspiration. Ils sont ainsi touchés, souvent avec un léger retard, par la vague orientalisante qui a touché les cultures françaises et allemandes. La mise en musique de poèmes chinois en est un des symptômes les plus évidents.

Parmi eux, le Suédois Hilding Rosenberg (né en 1892), qui consacrera à la mélodie une part très marginale de son investissement, va surtout jouer un rôle pédagogique considérable. Il est en quelque sorte le père de la musique "moderne" en Scandinavie. En Finlande, ce rôle sera tenu plus tard par l’attachant et talentueux Erik Bergman (né en 1911). Même si Bergman s’intéressera beaucoup à la voix, ses mélodies au sens "classique" du terme sont assez peu nombreuses; elles datent de la première période de composition d’une très longue carrière marquée par un inlassable esprit d’ouverture à l’innovation.

Parmi les zélateurs de la modernité – il pourrait figurer aussi bien dans le chapitre suivant - il convient de citer aussi la forte personnalité du Suédois Karl Birger Blomdhal, formé par Rosenberg, encore que sa place dans l’histoire de la musique vocale nordique soit assez réduite.

Dans une voie très personnelle qui en fait un peu le Scriabine finlandais, Aare Merikanto, esprit original et grand formateur des générations suivantes, cherchera des solutions moins calquées sur le "discours dominant ".

Une partie de l’école nordique évitera d’emprunter ces voies novatrices, n’y trouvant pas les moyens d’exprimer son intérêt pour l’expression vocale. Le cas le plus typique, et à divers égards le plus extrême, est le Finlandais Yriö Kilpinen. Fasciné par le lied germanique, notamment par Hugo Wolf, il va consacrer la quasi-totalité de sa vie de compositeur à en perpétuer le modèle. Son énorme production, basée en grande partie sur la littérature allemande, connaîtra dans l’entre-deux-guerres une vogue à laquelle le grand chanteur de lieder allemand Gerard Husch, friand de Kilpinen, ne fut pas étranger. Kilpinen avait incontestablement le sens de l’expression mélodique, même s’il convient de se montrer sélectif à l’égard d’une œuvre parfois stéréotypée et aujourd’hui peu pratiquée.

A leur manière, les Suédois John Ferström, Lars Erik Larsson et Gunnar de Frumerie s’attacheront à renouveler la composition mélodique sans se couper de l’héritage du passé. Chacun des trois y réussira à sa manière; les mélodies de Gunnar de Frumerie, notamment, justifieraient une plus grande persistance d’intérêt. On peut citer aussi, de manière plus anecdotique, le Finlandais Seppo Nummi qui pratiqua un étrange synchrétisme de références anciennes et non européennes.

Plus complexe, et à divers égards plus fascinant, est le cas du Danois Rued Langgaard. Du même âge que Rosenberg et prodige précoce de la composition, Langgaard ouvrit son œuvre sur des approches littéralement futuristes. L’anecdote qui suit est parlante à cet égard. Des décennies plus tard, ayant invité Ligeti à siéger dans un concours de composition, le compositeur danois Per Nørgård glissa subrepticement une partition de Langgaard dans celles qu’examinerait son illustre collègue. Ligeti eut la surprise d’y déceler une musique propre de sa propre démarche… Curieusement, dans la suite de son œuvre Langgaard – qui souffrit de gros problèmes socio-relationnels – vira à un conservatisme aussi militant que parfois inégal en inspiration. Ses mélodies de jeunesse (début de la Première guerre), indiscutablement intéressantes, sont d’un lyrisme très post-wagnérien.

Le Norvégien Øistein Sommerfeldt fait partie des divers Nordiques qui – comme tant d’autres – bénéficièrent de l’enseignement de Nadia Boulanger. Son style tente une synthèse entre tradition et modernité.

Son compatriote Geirr Tveitt a tenu un rôle particulier, mais non sans importance. Dans un pays qui en était singulièrement riche, il fut un inlassable collecteur de mélodies traditionnelles – comme le fit ailleurs Bartok – qu’il se donna pour mission de fixer sur papier et, accessoirement d’arranger. A titre anecdotique, il existe même des enregistrements où Tveitt chante lui-même certains éléments de ce matériel.


Un choix discographique

Pour l’essentiel

  • Karl Birger Blomdahl : par Elisabeth Söderström (E. Söderström + Ahronovitch Caprice CAP 21365 - cote Médiathèque : EB7468)
     

  • Erik Bergman : par Solveig Faringer (soprano suédois d’une grande pureté et d’un peu banal éclectisme, mal connu hors Scandinavie) (S. Faringer + Söderblom. Ondine ODE 774-2 - cote Médiathèque : FB5138 ) et Jorma Hynninen (J. Hynninen + Gothoni BIS CD 88 - cote Médiathèque : EA4337 ). Ce dernier CD, où Hynninen est couplé au très personnel soprano Taru Valjakka à l’intérêt de couvrir divers compositeurs finnois – plus ou moins importants - du 20e siècle.
     

  • Rued Langgaard : bonne interprétation par deux sopranos danoises, Anne Margrethe Dahl et Gitta-Maria Sjöberg ( A-M Dalh + Staerk Marco Polo 8.224011 et G-M. Sjöberg + Rozhdestvensky Chandos CHAN 9517 - cote Médiathèque : EL1920). Ce second CD contient aussi l’étonnant poème symphonique Sfærernes musik .
     

  • Gunnar de Frumerie : assez négligé par les rééditions CD, mais le compositeur au piano dans une version "historique" avec l’alto Solwig Grippe et surtout le baryton Folke Wedar ( S. Grippe / F. Wedar + de Frumerie Caprice CAP 21533 - cote Médiathèque : EF8920 )
     

  • Yrjö Kilpinen : à son meilleur niveau par Jorma Hynninen ( J. Hynninen + Gothoni BIS CD 88  - cote Médiathèque : EF8920 )
     

  • Geirr Tveitt : une production (2 CD groupés) très particulière, répartie entre folklore norvégien et sa réinterprétation pianistique "classique". L’ irrésistible naturel du soprano Reidun Horvei et un pianiste intelligent ( R. Horvei + Botnen Simax PSC 1132 )
     

Pour les plus curieux :
 

  • Lars Erik Larsson : une écriture "post-classique" très plaisante. Quelques chansons populaires  par Anne Sofie von Otter. ( A. S. von Otter + Forsberg DGG 463 479-2 - cote Médiathèque : GC4384); écouter aussi la belle cantate Förklädd gud , emblématique en Suède, par exemple dans la version tonique d’Esa – Pekka Salonen Förklädd Gud (H. Martinpelto / H. Hagegård + Salonen Sony SK 64140 - cote Médiathèque : EL2655 )
     

  • Hilding Rosenberg : par le baryton Rolf Leanderson ( R. Leanderson + Leanderson BIS CD 38 - cote Médiathèque : ER7444 )
     

  • Aare Merikanto : quelques mélodies par le ténor Veikko Tyrväinen. Cette figure emblématique de l’opéra finlandais des années 50-60, sorte d’équivalent d’Ivan Kozlovsky, a enregistré avec beaucoup d’instinct diverses mélodies de ses compatriotes (V. Tyrväinen + Szalkiewicz Finlandia 1576-58816-2 [588162]).
     

  • John Fernström : à découvrir, avec la jeune soprano Miah Persson ( M. Persson + Shui BIS CD 997 - cote Médiathèque : EF3925)
     

  • Øistein Sommerfeldt : par le soprano Toril Carlsen et le baryton Knut Skram ( T. Carlsen + Kvalbein / K. Skram + Jansons Aurora NCD-B 4946 - cote Médiathèque : FS6405)
     

  • Pauline Hall : de cette compositrice norvégienne au très beau style, quatre petites mélodies pour soprano (par Solveig Kringelborn) dans un très joli disque surtout instrumental ( S. Kringelborn + instr. Simax PSC 3105 )
     

  • Seppo Nummi : par Hynninen, la mezzo Margareta Haverinen et le ténor Matti (Juhani) Piipponen
    ( J. Hynninen / M. Haverinen / M.J. Piipponen + Gothoni BIS CD 279 )

     

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