Béla BARTÓK (1881-1945)

Béla Bartok

 

Par Benoit van Langenhove  

 

Titre original hongrois : A Kékszakállú herceg vára
Traduction littérale : Le Château du duc Barbe-Bleue
Opéra en un acte, op.11, Sz.48
Livret de Béla Balázs d'après le conte de Charles Perrault
Composition : février - septembre 1911
Création : Opéra de Budapest, le 24 mai 1918

 

Le livret

Le livret du Château de Barbe-Bleue est signé par un poète symboliste, Béla Balázs. Dans une parabole pessimiste, il décrit l’affrontement entre Barbe-Bleue et sa quatrième femme, Judith. Le conte, riche en allusions allégoriques, permet des lectures multiples. On peut y lire la condamnation de la curiosité féminine (les portes interdites étant une autre forme de la pomme d’Adam et Eve ou de la boîte de Pandore), le conflit entre l’homme, rationnel et créateur, et la femme, inspiratrice et intuitive, ou la destruction de l’équilibre d’un couple quand un des partenaires veut trop en savoir sur l’autre. Certains commentateurs lisent même ce livret comme une figure du destin de Béla Bartók en personne.

L’action, purement psychologique, se déroule à l’intérieur d’une salle immense du château. Sept portes closes l’entourent. Pour inonder la pièce de lumière, Judith veut les ouvrir toutes, malgré la résistance de Barbe-Bleue. Ayant violé l’enceinte la plus secrète du château, Judith est condamnée à rejoindre les autres femmes derrière la septième porte, tandis que Barbe-Bleue reste seul au milieu des ténèbres de sa demeure.

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La partition


La partition se découvre assez facilement. L’action véritable se passe, pour l’essentiel, dans la partition. Chaque porte est caractérisée par un paysage sonore précis, dévoilant un monde onirique au chatoiement fantastique. Nous allons essayer de vous en montrer quelques richesses. Pour vous aider à vous repérer, nous avons indiqué le numéro des plages des versions Fischer (EB3593) et Boulez (EB3597).

Après une introduction, où les éléments du drame (et les thèmes principaux, dont un intervalle de seconde mineure, symbole du sang) sont mis en place, commence la lente ouverture des portes. Les trois premières présentent trois aspects de la personnalité sociale de Barbe-Bleue.

1ère porte, la salle de torture : chaînes, tenailles, roues (symbole des lois et de la souffrance qu’elles engendrent) : trémolos des violons et des clarinettes dans l’aigu, gammes rapides des flûtes et xylophones. (Fischer - plage 2 à partir de 4' 43" ou Boulez - plage 4)

2e porte, la salle d’arme : symbole de la guerre et de la violence, la salle d’arme est suggérée par l’emploi de rapides fanfares de trompettes. (Fischer - plage 3 à partir de 2' 29" ou Boulez - plage 5)

3e porte, la salle des trésors : symbole du luxe, de la richesse, de la corruption : sur de longs accords de cuivres, passent les roulades du célesta. Deux violons solos et une suite de notes descendantes au cor y ajoutent une touche irréelle. (Fischer - plage 4 à partir de 1'04" ou Boulez - plage 6)

4e porte, le jardin secret : après un glissando initial de la harpe, un cor surgit au-dessus d’un fond de cordes. (Fischer - plage 5 à partir de 0'13" ou Boulez - plage 7)

5e porte, les immenses domaines de Barbe-Bleue : point culminant de l’œuvre, cette scène met en place la totalité de l’orchestre (plus un orgue) dans une série d’accords massifs, impressionnants. (Fischer - plage 6 à partir de 0'17" ou Boulez - plage 8)

6e porte, un lac de larmes : Judith est accueillie par un sanglot. Dans ce fabuleux moment d’orchestration, nous entendons sur des trémolos de cordes en sourdine et des roulements des timbales et du tam-tam, les arpèges du célesta, d’une clarinette et d’une harpe et les glissandos d’une clarinette et les fusées de la flûte. C’est aussi le moment où l’opéra va de la lumière vers les ténèbres. (Fischer - plage 8 à partir de 0'43" ou Boulez - plage 9)

7e porte. De cette porte émergent les formes silencieuses des trois précédentes épouses de Barbe-Bleue. L’orchestre entame un hymne funèbre rythmé par les clarinettes et les bassons. (Fischer - plage 11 à 2'40" ou Boulez - plage 12)

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La distribution

Duc Barbe-Bleue, baryton
Judith, sa femme, (mezzo-)soprano
Récitant du prologue, rôle parlé
Les trois précédentes femmes de Barbe-Bleue, rôles muets

L'action se passe dans une salle du château de Barbe-bleue, dans les temps légendaires.

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Discographie

Seize versions, dont quatorze disques compacts et deux vidéocassettes (pour avoir la discographie complète, cliquez ici) : en dehors de Puccini, aucun compositeur du 20e siècle ne peut se vanter d’avoir une telle discographie pour un de ses opéras.

Face à une partition aussi riche, le rôle du chef est primordial. On peut classer leur travail selon deux axes. Le premier axe installe Bartók dans sa filiation allemande entre Wagner et R. Strauss. Ferencsik y reviendra par trois fois (référence Médiathèque EB3585, EB3595 et EB3592). Nous n’avons entendu que la dernière avec Nesterenko et Obratzova. Tous deux possèdent des voix magnifiques mais bien peu de subtilité. La version Kertesz (EB3584) a souvent été saluée comme une version de référence. Pourtant, l’ombre de Parsifal de Wagner y est, à mon avis, trop présente. Christa Ludwig y est en pleine possession de ses moyens, mais pas assez engagée surtout face à l’interprétation de Julia Varady (EB3591), probablement la meilleure Judith sur disque. Face à elle, toute la subtilité de Fischer-Dieskau dessine un Barbe-Bleue introverti, fragile. La direction de Sawallisch est très peu orthodoxe, plus tournée vers R. Strauss que Bartók, mais au moins ce chef a de l’imagination. Solti, comme à l’accoutumée, dirige avec puissance. Sylvia Sass y déploie un très grand sens dramatique, sans avoir les moyens vocaux nécessaires. La distribution de la version Fischer (EB3593) a, a priori, de quoi étonner avec le couple Eva Marton – Samuel Ramey. A l'audition, il se révèle pourtant un des plus passionnants et des plus parfaitement équilibrées. Dernier enregistrement en date, la version Haitink (EB3586) possède le meilleur orchestre de la discographie (le Berliner Philharmoniker). Anne Sofie von Otter n’a pas la voix dramatique du rôle de Judith, mais face à une telle incarnation, la critique rend les armes.

L’autre axe de direction plonge l’opéra de Bartók dans le 20e siècle, relevant l’influence de Debussy ou la modernité de l’écriture de la partition. Fricsay (EB3583) a été un immense chef bartokien. Son enregistrement du Château nous le prouve encore. Malheureusement, nous n’avons droit qu’à une version allemande aux nombreuses coupures. Fischer-Dieskau, contrairement à son enregistrement postérieur avec Sawallisch, est un Barbe-Bleue autoritaire, passionnant. Inbal (EB3594) choisit également une direction claire, nette, tranchée. Ses chanteurs sont sobres, sans excès. Falk Struckmann passe malheureusement à côté de la complexité de Barbe-Bleue. Dorati (EB3596) possède la direction d’orchestre la plus vigoureuse. Toute la modernité de la partition est bien mise en évidence. Grand interprète du rôle, Székely n’a plus toute sa voix, mais son intelligence musicale compense admirablement la perte de l’éclat vocal. Comme souvent, la version Boulez (EB3588) a remis en cause bien des habitudes d’écoute. L’orchestre est fouillé, la filiation avec l’impressionnisme français mise en évidence et la modernité du texte soulignée. De plus Tatiana Troyanos signe une des plus grandes incarnations de Judith sur disque. C’est ma version pour île déserte. En 1998, Boulez a sorti un nouvel enregistrement de l'opéra (EB3597). Cette fois-ci, il profite des timbres somptueux du Chicago Symphony Orchestra et du plus grand titulaire actuel du rôle de Barbe-Bleue, Lászlo Polgár. Malheureusement, Jessye Norman à plus de peine à nous convaincre dans un rôle de victime.

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Liens

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Représentation en Europe

Représentations dans le monde

 

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