Benjamin BRITTEN (1913 - 1976)

Benjamin Britten - Peter Grimes 

Par Benoit van Langenhove  

 

Opéra en un prologue et trois actes, opus 33
Livret de Montagu Slater d'après un poème de George Crabbe
Composition : 1944 - 1945
Création : Londres, Sadler's Wells Theatre, le 7 juin 1945

 

Le livret

Au début du XIXe siècle, en Angleterre, un mousse s’achetait encore comme un esclave et son sort inquiétait peu un homme dur tel que le patron de pêche Peter Grimes. Ce dernier passe d’ailleurs en jugement suite à la mort d’un de ses mousses. Bien que la preuve de sa culpabilité n’ait pu être établie, tout le village s’est détourné de lui. Quand il fera naufrage un peu plus tard, personne ne le regrettera.

Top

La partition

Purcell mis à part, l’opéra anglais demeure très peu connu du grand public. La création de Peter Grimes au Théâtre du Sadlers Wells de Londres, le 7 juin 1945, constitue une date importante dans l’histoire de la musique britannique, en affirmant l’émergence d’un grand compositeur lyrique dans une Angleterre que l’on croyait vouée aux oratorios monumentaux.

C’est aussi pour le compositeur un grand événement personnel; en effet, il fut toute sa vie un pacifiste convaincu. Sous l’influence du poète William Auden, il milita en faveur de la paix menacée par la montée du nazisme. Lorsque éclatent les hostilités, Britten effectue une tournée en Amérique où il décide de rester, horrifié par le carnage qui envahit l’Europe.

En 1941, il tombe sur un article de E.M. Foster commençant par ces mots : " Penser à Crabbe, c’est penser à l’Angleterre ". George Crabbe décrit dans un long poème intitulé The Borough (Le Bourg) une riche galerie de personnages de la communauté côtière du comté du Suffolk, à l’est de l’Angleterre, région dont Britten était issu. Parmi eux, un pêcheur aux tendances sadiques se nomme Peter Grimes.

Cette fois, le mal du pays, accru par son inquiétude pour sa famille et ses amis qu’il sait en danger, le fait retourner au pays. Immédiatement, il fait reconnaître par un tribunal sa position d’objecteur de conscience. Sa seule obligation sera de donner des concerts.

Ainsi, en 1945, il accompagnera Yehudi Menuhin pour une série de concerts donnés dans des camps de concentration récemment délivrés.

En attendant le bateau qui le ramène des USA en Grande-Bretagne, Britten reçoit une bourse de la Fondation Koussevitzky pour composer un opéra. Le sujet était trouvé : Peter Grimes.

L’intérêt de Britten se trouve à plusieurs niveaux du livret. D’abord la possibilité d’écrire des interludes symphoniques impressionnistes qui lui permettent d’évoquer les éléments naturels de ces paysages familiers, proches de la Mer du Nord; ensuite, au travers de l’opposition entre un marginal et sa communauté, la possibilité de traiter des parallèles avec sa propre expérience de mise à l’écart, de proscrit, à la fois comme objecteur de conscience et comme homosexuel.

Cela est explicite dans une interview de 1962 : " L’un des sentiments majeurs pour nous était celui de l’individu à l’encontre de la foule, non sans quelques allusions ironiques à notre propre situation [...] nous étions naturellement soumis à une énorme tension. Je pense que c’est précisément ce sentiment qui nous fit envisager Grimes tel un personnage visionnaire et conflictuel - un idéaliste torturé plutôt que le scélérat qu’il était pour Crabbe."

Peter Grimes est un être dur au caractère un peu pathologique, agressif et inadapté. Pris par son désir de conquérir une certaine reconnaissance sociale qu’il ne croit obtenir que par une pêche fructueuse, il va perdre accidentellement et par deux fois un enfant apprenti.

Face à cette fatalité, Peter Grimes reçoit tout le poids des soupçons d’une communauté sûre de son bon droit qui exigera son sacrifice, nécessaire à la sérénité de tous. Violente condamnation des préjugés, de l’injustice sociale, des idées préconçues, Peter Grimes révèle la profonde connaissance de Britten à pénétrer au cœur des esprits et des tourments - ou des individualités brisées - ainsi qu’une remarquable habilité à caractériser les groupes humains.

L’art de Britten est fait de petits “riens” et doit sa richesse à cette économie de moyens : une justesse dans le choix du timbre, la précision évocatrice des sonorités, la retenue avec laquelle la puissance en réserve de l’orchestre ne se trouve libérée qu’au moment crucial, l’aisance dans le traitement de la voix. Le compositeur rejette la construction wagnérienne.

Tout au long de l’opéra, il est facile de repérer les différents numéros - airs, ensembles ou chœurs - liés les uns aux autres par des récitatifs. Nulle complaisance pour le bel canto, nulle déclamation sèche ne vient troubler le lyrisme sobre.

 

Top

La distribution

Peter Grimes, un pêcheur, ténor
Ellen Orford, une veuve, maîtresse d'école du bourg, soprano
Captain Balstrode, retraité de la marine marchande, baryton
Auntie, propriétaire du "Sanglier", alto
Première nièce, soprano
Deuxième nièce, soprano
Bob Boles, pêcheur et méthodiste, ténor
Swallow, un avocat, basse
Mrs. (Nabob) Sedley, une rentière, veuve, mezzo-soprano
Rev. Horace Adams, le recteur, ténor
Ned Keene, pharmacien et guérisseur, baryton
Hobson, voiturier, basse

L'action se passe dans un bourg de pêcheurs de la Côte Est de l'Angleterre vers 1830.

Top


Discographie

Peu d’œuvres de l'après Deuxième Guerre mondiale peuvent se vanter de compter quatre intégrales, dont trois majeures. Plus que tout autre, Peter Grimes est un opéra de ténor. Peter Pears (référence Médiathèque: EB8853) crée un personnage symbole, un monstre et un martyr, plus désincarné que vraiment sanguin.

Jon Vickers (EB8854 ou vidéocassette EB8862) est un être de chair et de sang, armé d’une force démoniaque peu commune. Anthony Rolfe-Johnson (EB8855) se place entre les deux : c’est à la fois un rude pêcheur et un poète venu d’ailleurs, rêvant au cœur de l’orage. Face à ces fortes personnalités, Philip Langridge (EB8856) paraît plus terne.

Hormis Peter, beaucoup de comparses épisodiques complètent la distribution, parmi lesquels on retiendra particulièrement Ellen et Balstrode. Heather Harper et Felicity Lott sont toutes deux poignantes dans le mélange d’instinct maternel et d’attente amoureuse sans illusion.

Autre protagoniste de taille, l’orchestre. Celui conduit par le compositeur reste assez lapidaire (EB8853); Colin Davis, par contre, déploie une formidable énergie dramatique parfaitement en phase avec Jon Vickers.

Haitink pousse davantage le raffinement de l’écriture orchestrale : à l’audition, c’est moins viscéral, moins immédiatement accrocheur, mais finalement, nettement plus creusé et réfléchi (EB8855). Hickox (EB8856) utilise des couleurs plus contemporaines, faisant ressortir de façon spectaculaire de nombreux détails de l’orchestration.

Top

Bibliographie

CARPENTER, Humphrey, Benjamin Britten, A biography, Faber and Faber, 1992
DE GAULLE, Xavier, Benjamin Britten ou l'impossible quiétude, Actes Sud, 1996
OLIVER, Michael, Benjamin Britten, Phaidon, 1996
Peter Grimes, L'Avant-scène Opéra n°31, janvier - février 1981

Liens

L'Avant-Scène Opéra a consacré son n° 31 à Peter Grimes

La biographie de Benjamin Britten

Les éditeurs de Britten :

Sites consacrés à Britten :

Sites consacrés à Peter Grimes

 

Top

 

Représentation en Europe


Représentations dans le monde

 

Top I Travers-sons I La Médiathèque

 

© La Médiathèque - 2003 - Tous droits de reproduction réservés