Opéra
en 3 actes, opus 64
Titre français : Le Songe d'une nuit d'été
Livret de Benjamin Britten et Peter Pears d'après la pièce de
William Shakespeare
Composition : octobre 1959 - avril 1960
Création : Aldeburgh (Suffolk - GB), Jubilee Hall, le 11 juin 1960
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Quand Britten se tourne vers Shakespeare pour le livret d’un nouvel opéra, il est un compositeur vétéran ayant derrière lui six grands opéras et quatre autres ouvrages dramatico-musicaux. Nous sommes en 1960, époque où A Midsummer Night's Dream est créé au Festival d'Aldeburgh, par l'English Opera Group (troupe de musiciens, de chanteurs, constituée en 1946 par Britten pour l'exécution de ses opéras de chambre et artisane, par là même, du renouveau de l'opéra anglais après la guerre) .
À l’occasion de la rénovation du petit Jubilee Hall d’Aldeburgh, Britten décide, en août 1959, d’écrire un nouvel opéra pour sa réouverture lors du Festival de 1960. Le Jubilee Hall fut le seul théâtre du festival jusqu’à l’ouverture, en 1967, de la Maltings à Snape. Le choix de cette salle impose ses contraintes d’espace : un public de 316 spectateurs seulement et un orchestre réduit (24 musiciens).
Britten suit, lors de la confection de ses livrets, les méthodes de
travail de Verdi, de Puccini ou de Richard Strauss, plutôt que celles
de Wagner : il aime travailler sur un livret fourni par quelqu’un d’autre,
même s’il participe activement à son élaboration. A
Midsummer Night's Dream demeure l’exception, en raison de la brièveté
du temps disponible (sept mois). Britten semble avoir voulu impliquer un moment
Myfanwy Piper qui avait écrit le livret pour The Turn of the Screw.
Il lui avait envoyé quelques-unes des idées de son projet. Elle
émit quelques suggestions, mais se retira bien vite car Peter Pears
était « extrêmement possessif » quant au partage
des tâches avec Britten.
Le Songe d’une nuit d’été a probablement été écrit en 1594 ou en 1596, à la même époque que Roméo et Juliette. L’action est censée se passer à Athènes aux temps légendaires. Thésée, le duc d’Athènes, va célébrer son mariage avec Hippolyte, la reine des Amazones. Égée, père d’Hermia, vient se plaindre que sa fille refuse d’épouser Démétrius, l’homme qu'il lui destine. Hermia aime Lysandre qui l’aime en retour. Démétrius aime Helena mais la délaisse au profit d’Hermia. Face à la loi, les jeunes gens s’enfuient dans les bois d’Athènes, dans le domaine des divinités sylvestres, dans le domaine des fées. Mais, dans ce monde magique, les bagarres, sont également une réalité. Oberon, le roi des elfes, essaie de récupérer un charmant petit page que sa femme, Tytania, veut garder pour elle. Pour arriver à ses fins, Oberon envoûtera Tytania avec l’aide de Puck, un petit lutin. Celui-ci ajoutera son grain de sel et déclenchera quelques quiproquos en se trompant de cible. Tout finira par s’arranger et tout le monde finira par aller se coucher après avoir vu le spectacle que les artisans d’Athènes ont préparé pour leurs princes.
Homme de souche paysanne, Shakespeare n’ignore rien des traditions terriennes. Il y a de fréquentes allusions à la nature, aux fleurs, aux arbres dans ses oeuvres. Dans des pièces comme Roméo et Juliette, Le Conte d’Hiver ou Le Songe d'une nuit d'été, la rose, les herbes, les feuilles d’automne servent à évoquer la ronde des saisons et scandent le thème de l’inexorable passage du temps. Dans le bestiaire shakespearien, les insectes sont utilisés métaphoriquement : par exemple, le corps et l’habitat des fées dans Le Songe d'une nuit d'été et Roméo et Juliette.
On peut rapprocher du Songe d'une nuit d'été deux autres pièces de Shakespeare. En premier lieu, le testament dramatique de l’auteur, La Tempête, qui partage avec Le Songe d'une nuit d'été le thème et l’esprit. En second lieu, nous pouvons faire référence au Roméo et Juliette dont la juvénilité se retrouve également ici. Certains dialogues de Lysandre et Hermia sont proches de ceux de Roméo et Juliette.
Le but de Shakespeare dans Le Songe d'une nuit d'été n’est pas un seul instant de donner l’illusion de la réalité, mais de superposer plusieurs couches d’irréalité : l’univers des mythes et de l’Antiquité, représenté par la cour de Thésée; le monde merveilleux d’Oberon, de Titania, de Puck et des fées; la trivialité des artisans, des Rustiques.
Une anecdote : durant son enfance Britten ne pouvait trouver le sommeil si sa mère Edith, n’avait pas chanté pour l’endormir. Il est presque impossible d’exagérer l’influence de cette pratique maternelle sur le développement de la psyché de Britten et sur son développement artistique. Durant sa vie d’adulte, Britten n’a jamais été entièrement capable de faire confiance au monde extérieur. Même si l’on peut se demander si chacun de nous peut faire confiance totalement au monde extérieur, il faut bien constater que le mal-être de Britten était extrême et que sa musique le révèle : le monde est un lieu plein de dangers et souvent de terreur, un lieu où l’innocence est facilement corrompue. Il peut être provisoirement rassuré par la beauté et l’amour, mais le sommeil est le seul lieu où la sécurité et la confiance peuvent être regagnées. On trouve déjà le monde des musiques nocturnes dans les opéras précédents comme par exemple The Turn of the Screw ou dans son Nocturne. Cette image du sommeil comme refuge est une image qui se perpétue d’œuvre en œuvre chez Britten. Et la fin idyllique du Midsummer Night's Dream n’est possible que parce que l’opéra est un rêve. Dans ces œuvres, c’est la voix chantée qui apporte le calme et surtout la voix de Peter Pears qui, par bien des côtés, joua le rôle maternel auprès de Britten après la disparition de celle-ci.
Bien que les mots et la langue de Shakespeare aient été scrupuleusement respectés, plus de la moitié des 2.136 lignes du texte fut coupée, certaines répliques sont attribuées à d’autres personnages et une ligne (une seule) fut ajoutée à l’Acte 1 de l’opéra où Lysandre explique le devoir d’Hermia face à la dure loi d’Athènes qui l’oblige à épouser Démétrius. Les rôles de Thésée et d’Hippolyte sont fortement réduits et celui d’Égée, le père d’Hermia, est carrément supprimé. Mais la décision la plus radicale fut de commencer l’opéra par la scène 1 de l’acte II, et de présenter en premier le monde des fées avant les jeunes amoureux, les artisans et la cour du duc.
On peut également voir Le Songe d’une nuit d’été comme une métaphore de l'opéra. La musique y est représentée comme adjuvant du rêve (la berceuse des elfes à Titania) et comme prolongement du poétique dans l'indicible. " Résonnez, musique ", dit Oberon, pour clore définitivement sa dispute avec Titania. Et la " musique calme " qui doit alors se faire entendre (une musique de scène) est bien, pour Shakespeare, ce que les mots ne pourraient traduire.
Docile au mélange des genres du texte et à ses mille changements de registre, la musique de A Midsummer Night's Dream est nuances, parfums, sensations évanescentes, apparitions, ombres si vite disparues qu'on croit les avoir rêvées. Si l'on doit chercher une filiation pour cet opéra, il faut regarder du côté du Pelléas et Mélisande de Claude Debussy. L'opéra de Britten contient, pourrait-on dire, tous les non-dits de Shakespeare. Il n'est pas l'appropriation wagnérienne d'un texte par un flux sonore totalisant, ni son inscription dans les formes canoniques de la musique, comme chez Berg.
Tous les éléments du drame de Shakespeare sont présents. Les trois mondes, les fées, les artisans et les Athéniens sont en rapports les uns avec les autres, mais ne sont jamais tous ensemble sur scène. Britten les a caractérisés par une musique particulière et une sonorité orchestrale originale.
L'opéra, plus que la pièce, est dominé par la forêt dans laquelle, à l'exception de la scène finale, se déroule l'action. Présente dès l'ouverture, ses bruissements et sa respiration sont évoqués par la trame sonore ondoyante des trémolos et des glissandos ascendants et descendants des cordes. Cette image sonore de la forêt reviendra tout au long de l'œuvre.
Du temps de Shakespeare, les lutins et les fées n’avaient pas spécialement bonne presse dans les croyances et la culture de l’époque : c’étaient de petites créatures inquiétantes qui n’apparaissaient que la nuit et jouaientt des tours aux mortels ou, au contraire, usaient de leur séduction pour entraîner les humains dans leurs royaumes souterrains. Elles pouvaient aussi leur tourner la tête par des chimères ou les opprimer par des cauchemars.
Shakespeare donne un rôle important à ces figures issues du folklore celte. Dans Le Songe d'une nuit d'été, les personnages d’Oberon et de Tytania sont de taille humaine, comme s’ils étaient les doubles nocturnes de Thésée et d’Hippolyte. Shakespeare a réduit leur part d’ombre et de mystère plutôt maléfique pour leur conférer une allure plus espiègle et relativement inoffensive.
Le monde des fées utilise des voix surnaturelles, des voix aiguës et les sons exotiques du célesta, du clavecin, de la percussion à hauteur déterminée : vibraphone, glockenspiel, xylophone. Style de la musique : aérienne, éthérée, impalpable
Les fées sont chantées par des voix d’enfants (ou des sopranos), Elle "n'ont rien de commun avec les petites choses innocentes que l'ont voit souvent dans les productions des pièces de Shakespeare. Pour ma part, j'ai toujours été frappé par une certaine rudesse du langage des fées de Shakespeare. Il ne faut pas oublier non plus que ces fées sont les gardes du corps de Tytania, c'est pourquoi la musique que j'ai écrite pour elle est, par endroits, martiale. " (article paru dans The Observer à la veille de la création)
Oberon un contre-ténor. Le rôle a été écrit spécialement pour Alfred Deller qui avait ressuscité la voix de contre-ténor. L'orchestration autour de ce personnage est légère. La présence du célesta qui n’a pas la même signification que la fée dragée du Casse-noisette de Tchaïkovski. Chez Britten, le célesta accompagne des personnages ambigus (cf. Quint dans The Turn of the Screw, le surnaturel n’a pas toujours partie liée avec le ciel). Oberon est un être jaloux, sinistre, c'est un tyran autocrate. Malgré la taille de la salle et l’orchestration légère de Britten, la voix de Deller a eu des problèmes pour passer. Le chanteur fut remplacé, à son grand dépit, lors des représentations de Covent Garden. La musique d'Oberon est assez formelle, inspirée du baroque et de Purcell.
Tytania est une soprano colorature. La combinaison avec la voix de contre-ténor a dû poser des problèmes d'équilibre dans les passages en duo. Les femmes, dans les opéras de Britten, tendent vers les extrêmes : elles sont soit des victimes, soit des prédatrices. Tytania est un curieux mélange des deux. Elle prend le dessus sur Bottom, mais est dominée par Oberon et Puck.
Dans la tradition opératique, le rôle du confident du héros est confié à une voix de baryton (cf. Posa dans Don Carlos). Britten a fait du rôle de Puck un rôle parlé joué par un jeune acrobate accompagné de la trompette et de tambours. "Puck est un personnage qui ne ressemble à aucun autre dans cette pièce. Il me semble être à la fois totalement amoral et pourtant innocent. Ce n'est pas un rôle chanté : Puck se contente de parler et de faire des cabrioles. C'est à Stockholm que j'ai eu l'idée de ce Puck en voyant des enfants acrobates suédois à l'agilité et au talent de mime absolument extraordinaires." (Britten, op. cit.)
Les artisans sont soutenus par le basson et les cuivres graves. Les textures sont peu complexes. La musique, grotesque, parodique, est pleine de références à la musique burlesque et rurale. Les comédiens professionnels apparaissent en Angleterre à la fin du XVIe siècle. Avant cela, les acteurs étaient des amateurs, membres de corporations d’artisans qui jouaient dans les Mystères de la Fête-Dieu. Il y avait aussi les mimes et les jongleurs ambulants qui se produisaient de village en village.
Pour accompagner les mariages, les artisans proposent à leur duc une représentation de Pyrame et Thisbée. Contée par Ovide dans les Métamorphoses, l’histoire de Pyrame et Thisbée, les deux victimes du destin, inspira d’abord Chaucer, puis Shakespeare. Il en donna une première version tragique dans Roméo et Juliette avant d’en faire un épisode burlesque dans la fin du Songe d'une nuit d'été. Chez Shakespeare, c'était le moment de railler le jeu exécrable des acteurs dilettantes (cabotinage, exagération, fausseté de ton, texte redondant). Britten en profite pour s'amuser avec l'histoire de l'opéra : un duo d'amour impossible où la forme traditionnelle en ABA est parfaitement respectée, mais où chacun des protagonistes reste dans sa tonalité (Do majeur contre La majeur), Flûte est accompagné par une flûte dans une parodie de Donizetti. Ailleurs, une petite pique : Snout qui joue le mur utilise le sprechgesang schönbergien.
Les humains sont accompagnés par le grand orchestre dans une tradition
plus classique (cordes et vents). La musique est tantôt déclamatoire,
tantôt tendre et lyrique. La distribution vocale correspond aux canons
de la tradition romantique : Lysandre, ténor et Hermia, mezzo-soprano,
Démétrius, baryton et Helena, soprano, Thésée,
basse et Hippolyte, contralto. Un parfum mozartien flotte sur les quatre jeunes
gens. Le chassé-croisé de couples inconstants évoquera
tout auditeur actuel Cosi fan tutte. Mais, au-delà des apparences,
ce n’est pas un pastiche de l’opéra de Da Ponte / Mozart que cherche
Britten. Britten veut nous montrer l’aveuglement, l’état compulsif
et irrationnel de l’état amoureux. Si l’on compare Roméo
et Juliette avec Le Songe d’une nuit d’été Shakespeare
donne deux visions de l’amour : l’un est illumination, l’autre est illusion.
Roméo n’a pas besoin du philtre d’Isolde pour aimer, il suffit du coup
de foudre. Dans Le Songe d’une nuit d’été, il faut
un peu de suc pour que, soudainement, les amoureux changent d’amour. C’est,
cette fois, l’illusion amoureuse qui est montrée au spectateur; plus
que l’aveuglement sexuel, c’est la bestialité nue qui se cache sous
les fleurs.
Oberon, le roi des fées, contre-ténor
Tytania, son épouse, soprano
Puck, acrobate, rôle parlé
Theseus, duc d'Athènes, basse
Hippolyta, reine des Amazones, fiancée à Theseus, contralto
Lysander, amoureux d'Hermia, ténor
Demetrius, amoureux d'Hermia, baryton [voix]
Hermia, amoureuse de Lysander, mezzo-soprano
Helena, amoureuse de Demetrius, soprano
Bottom, un tisserand, basse
Quince, un charpentier basse
Flute, un facteur de soufflets, ténor
Snug, un menuisier, basse
Snout, un chaudronnier, ténor
Starveling, un tailleur, baryton
Cobweb, une fée, voix d'enfant
Peaseblossom, une fée, voix d'enfant
Mustardseed, une fée, voix d'enfant
Moth, une fée, voix d'enfant
Choeur des fées, voix d'enfants ou sopranos
La scène se passe dans un bois près d'Athènes
A Midsummer Night's Dream a le privilège rare d'avoir déjà trois enregistrements complets qui ont tous leurs mérites. La voix de Deller (Britten - EB8909) est fabuleuse dans le rôle d'Oberon, mais l'incarnation du personnage est bien meilleure chez Bowman (Hichox - EB8910) . Par contre, la voix très charnue d'Asawa (Davis - EB8911) dessert la magie du personnage. Donald Maxwell domine dans le rôle de Bottom, mais Owen Brannigan n'est pas mal non plus. Deux Lysander à mettre en exergue, ceux de Peter Pears (Britten) et John Mark Ainsley (Davis). A signaler aussi la très belle participation de Ian Bostridge dans le role de Flute chez Davis. La direction de Hickox met le mieux en évidence toutes les ruptures, toutes les oppositions de style à l'intérieur de la partition. Le choix de la version pour petit orchestre permet au chef de mieux faire dialoguer l'orchestre et les chanteurs. L'orchestre de Britten est placé en arrière des chanteurs et ne permet pas une lecture en profondeur de l'orchestre. Mais sa direction juvénile à son charme. Grand spécialiste de Britten, Colin Davis a la direction la plus construite, la plus controlée de la discographie. Ce n'est pas le discours le plus riche en émotion, mais c'est d'un raffinement extrême.
CARPENTER, Humphrey, Benjamin Britten, A biography, Faber and Faber,
1992
COOk, Mervyn (sous la direction de), The Cambridge Companion to Benjamin
Britten, Cambridge University Press, 1999
DE GAULLE, Xavier, Benjamin Britten ou l'impossible quiétude,
Actes Sud, 1996
MATTHEWS, David, Britten, Haus Publisher, 2003
OLIVER, Michael, Benjamin Britten, Phaidon, 1996
Le Songe d'une nuit d'été , L'Avant-scène Opéra
n°146, mai 1992
L'Avant-Scène Opéra a consacré son n° 146 au Songe d'une nuit d'été
La biographie de Benjamin Britten
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