Jules Massenet (1842 - 1912)

 

Werther

par Laurent Jäger &
Benoit van Langenhove

Opéra en quatre actes et cinq tableaux.
Livret d'Edouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann d'après Die Leiden des jungen Werther (Les Souffrances du jeune Werther) de Johann Wolfgang von Goethe.
Composition : entre 1885 et 1888.
Création (en allemand dans une traduction de M. Kalbeck) : Vienne, Hofoper, le 16 février 1892.

Travers-sons >> Opéra >> Werther


Regards sur l'oeuvre

Werther fut créée à Vienne, en 1892, en allemand, car le directeur de l'Opéra Comique de Paris avait refusé de la monter dans sa version originale française. Elle fut accueillie favorablement et la première parisienne eut lieu moins d'un an plus tard, en 1893. Inspiré par Goethe, Massenet voulait faire de Werther l'équivalent du Tristan und Isolde de Richard Wagner. Comme Tristan, Werther meurt d’une blessure cachée. Goethe, s’inspirant de deux épisodes de sa vie sentimentale et d’un fait divers dramatique survenu dans son entourage, avait écrit, sous la forme distanciée d’un roman épistolaire, Les Souffrances du jeune Werther. Écarté entre un idéal de bonheur « bourgeois » et des songes morbides et suicidaires, Werther possède les caractéristiques des grands héros romantiques au point d'en devenir l'archétype.

L’opéra est construit sur les duos de Werther et Charlotte, d’un sentiment apaisé et printanier dans le premier acte, implorant et angoissé dans le deuxième acte, passionné au troisième acte et adieu désespéré au quatrième acte. Écoutez le duo de Charlotte et Werther qui termine le premier acte. Cette scène est aussi connue sous le surnom de Scène du clair de lune. La musique est d’une suavité doucereuse à la limite de l’acceptable, mais trop irrésistiblement séduisante pour que nous lui en tenions rigueur. L’opéra possède aussi son "tube": L’invocation à la nature et le célèbre lied d’Ossian fait partie du répertoire de tout ténor qui se respecte.

L’orchestration de Werther fait appel au grand orchestre symphonique. Pourtant, Massenet crée un tissu sonore dont la transparence évoque plutôt la musique de chambre. Les parties chantées ne visent pas le bel canto brillant, mais la clarté des dialogues et du jeu scénique. Tous les pouvoirs d’une orchestration raffinée, essentiellement suggestive, trouvent leur meilleur emploi dans l’interlude La Nuit de Noël entre les actes trois et quatre. Cette musique évoque, en phrases isolées, la tristesse d’une nuit d’hiver. Un motif violent, entendu lors de la scène de la lettre de Werther à Charlotte traverse la scène.

C’est dans Werther que Massenet se montre le plus novateur du point de vue de la tonalité. Certains y ont vu un signe avant-coureur de l’impressionnisme, un opéra précurseur du Pelléas et Mélisande de Debussy. Avouons cependant que ces audaces d’écriture sont devenues moins perceptibles de nos jours où action et musique de Werther sont souvent perçues comme péniblement sentimentales. Après une période ou l’opéra de Massenet est resté à l’écart des grandes scènes lyriques, quelques productions nouvelles ont montré que cet opéra pouvait être sauvé de l’oubli.

Werther : synopsis

Acte 1

La Maison du Bailli. À gauche, la maison précédée d’une terrasse; au loin, les maisons du bourg et la campagne. C’est le mois de juillet. Le Bailli fait répéter à ses six jeunes enfants, mais sans grand succès, un cantique de Noël. Curieusement, cette scène se situe au cœur de l’été, mais elle préfigure ainsi le dénouement de l’opéra. Le milieu social est décrit dans l’introduction, notamment par l’entrée de deux amis du Bailli, Johann et Schmidt, adeptes de Bacchus. Dans ce tableau de famille, servant de toile de fond, l’entrée de Werther est relevée par un monologue exalté sur la nature. Dans la scène de la première rencontre de Werther et de Charlotte, suivie du départ pour le bal, l’admiration silencieuse de Werther contraste avec le va-et-vient des autres personnages. C’est à la fin seulement que Werther, comme s’il était seul, clame son ravissement dans un monologue ("Ô spectacle idéal d’amour et d’innocence"). Albert, le fiancé de Charlotte, revient de voyage. Le conflit qui sous-tend le drame apparaît dans le contraste entre l’air dans lequel Werther exprime ses sentiments pour Charlotte et le duo Werther/Charlotte qui reviennent du bal "lentement, se tenant par le bras". Sans détour, Werther fait à Charlotte l’aveu de sa flamme, avec une emphase sans laquelle un duo d’opéra se conçoit difficilement. Charlotte se dérobe en parlant de sa défunte mère, dont elle a pris la place auprès des enfants. Le dialogue est brusquement interrompu par la nouvelle du retour d’Albert. L’acte se termine, d’une façon saisissante, sur le désespoir de Werther à l’idée que Charlotte en épousera un autre.

Acte 2

Les Tilleuls. La place de Wetzlar : au fond, le temple protestant; à gauche, le presbytère et à droite, la taverne. C’est le mois de septembre. Les hommages de Johann et Schmidt à Bacchus contrastent avec les accords de l’orgue qui parviennent du temple. Cette scène idyllique, tableau de la vieille Allemagne dans une perspective française, sert de toile de fond au dialogue entre Charlotte et Albert, marqué par l’intimité et la confiance. Werther observe la scène de loin, à la dérobée; puis il clame son désespoir profond dans un monologue. Lorsqu’il veut s’éloigner, Albert le retient et, avec une naïveté frisant le manque de tact, il lui propose son amitié et son pardon pour une passion qu’il tient pour éteinte. Par sa joie insouciante en contraste avec le désespoir muet de Werther, Sophie, sœur cadette de Charlotte, introduit un épisode contrastant. La musique nourrit de réminiscences élégiaques la scène entre Werther et Charlotte, point culminant de l’œuvre à laquelle tout le reste sert de toile de fond. Par ailleurs, les motifs de l’orchestre trahissent le fait que Charlotte ne conserve qu’à grand peine son calme, lorsqu’elle prie Werther de partir en voyage pour ne revenir qu’à Noël. Resté seul, Werther se tourmente en songeant au suicide. L’acte se dénoue tragiquement, tandis qu’une Polonaise retentit au loin : Werther congédie brutalement Sophie qui l’aime. Dans sa douleur, il n’a absolument pas compris ce qu’elle venait de lui dire.

Acte 3

Charlotte et Werther. Un salon dans la maison d’Albert, le 24 décembre à 5 heures du soir.
Charlotte lit des lettres qu’elle a reçues de Werther ; elle ne peut se cacher qu’elle l’aime. À la lecture des mots "Ne m’accuse pas. Pleure-moi !", musicalement soulignés par un leitmotiv expressif et frappant, elle ressent une angoisse que même Sophie ne parvient pas à calmer. Le moment qui précède la catastrophe est marqué, comme dans d’autres opéras tragiques, par une diminution de l’emphase et un retour au ton d’un simple chant, induit par une réminiscence à la mère de Charlotte. Un duo entre Charlotte et Werther, qui est apparu près de la porte "pâle et presque défaillant", forme le tournant du drame. Comme dans le roman, la lecture des vers d’Ossian pousse Charlotte à avouer sa flamme. Après cet aveu, Charlotte se ressaisit brusquement et renvoie Werther pour de bon. La fin de l’acte est problématique. Après le départ de Werther, Albert fait son apparition ; voyant Charlotte troublée, il soupçonne ce qui s’est passé. Comme dans le roman, un messager apporte un billet de Werther : "Je pars pour un lointain voyage. Voulez-vous me prêter vos pistolets ?" Albert sait parfaitement ce qu’il fait en acceptant d’envoyer les pistolets. Cette décision est dictée par une haine subite et inattendue chez un homme de caractère bienveillant et de bonne foi. Dans son désarroi, Charlotte ne comprend pas tout de suite ce qui se prépare. Dès qu’elle l’a compris, elle se précipite chez Werther.

Acte 4

Premier tableau. Nuit de Noël. Wetzlar vue à vol d’oiseau : la lune éclaire les arbres et les toits couverts de neige.
Deuxième tableau. La mort de Werther. Le cabinet de travail de Werther, la nuit de Noël. Le suicide de Werther est évoqué par un long interlude orchestral, dont les motifs rappellent le billet qui a plongé Charlotte dans l’angoisse. Lorsque Charlotte arrive, Werther est à l’agonie. Voyant sa mort inéluctable, elle lui avoue sans retenue son amour. Tandis que Werther meurt et que Charlotte tombe en pâmoison, un cantique de Noël s’élève au loin dans la maison du Bailli. C’est le cantique des enfants, qui l’ont répété au commencement de l’opéra.
(d'après http://carmen.lamonnaie.be )


Werther : distribution vocale

Werther, 23 ans, ténor
Albert, 25 ans, baryton
Le Bailli, 50 ans, baryton
Schmidt, ami du Bailli, ténor
Johann, ami du Bailli, baryton
Bruhlmann, jeune homme, coryphée
Charlotte, fille du Bailli, 20 ans, mezzo soprano
Sophie, sa soeur, 15 ans, soprano
Katchen, jeune fille, coryphée
Les six enfants Fritz, Max, Hans, Karl, Gretel, Clara, soprani, voix d'enfants

Un petit paysan, un domestique, habitants du bourg de Wetzler, invités, ménétriers.
Au dernier tableau, dans la coulisse, choristes femmes, avec les voix d'enfant

L’action se déroule aux environs de Francfort, de juillet à décembre 178...

Discographie

Neuf versions comparées de 1931 à 1979.

La version Cohen 1931 (DM3483) est forcément de qualité auditive médiocre, mais la présence de Georges Thill (dont on fête le 100ème anniversaire de la naissance), entouré d'une bonne distribution, est à retenir pour sa diction impeccable et ses qualités vocales, toujours encensées par les critiques. Les voix passent bien.

La version Pradelli 1953 (DM3482), au son convenable bien qu'un peu passé, possède une distribution correcte.

La version Cillario 1959 (DM3487) est en italien et "live". Il y a du souffle. Elle vaut notamment par la prestation de Leyla Gencer, soprano méconnue, chantant ici en mezzo, dont la discographie est surtout italienne (opéras de Donizetti et Verdi).

La version Etcheverry 1964 (DM3485) met en évidence les qualités des timbres vocaux de Rita Gorr (belge) et du ténor Albert Lance, surtout dans les grandes envolées.
On appréciera Gabriel Bacquier et Mady Mesplé, plus connus.

Les versions suivantes bénéficient de bonnes qualités d'enregistrement.

La version Prêtre 1969 (DM3486) est à mon avis la plus belle, surtout pour les qualités exceptionnelles de Nicolaï Gedda, au sommet de son art, avec pour partenaire Victoria de Los Angeles. Dans un rôle destiné habituellement à une mezzo, elle ne manque pas de répondant ni de métier. Mady Mesplé est à l'aise en Sophie, comme dans la version Etcheverry.

La version Plasson 1979 (DM3489) n'est pas loin de me satisfaire pleinement. Si Alfredo Kraus est très bien, il lui manque un tant soit peu de flamme.
Par contre, Tatiana Troyanos mérite des éloges, de même que "notre" Jules Bastin, excellent et d'une diction parfaite.

La version Chailly 1979 (DM3488) est également d'un bon niveau, bien que ce ne soit pas le meilleur rôle de Placido Domingo. Elena Obraztsova montre de belles qualités, avec parfois quelques lacunes techniques. Par contre, Kurt Moll y est parfait.

La version Nagano 1995 (DM3491) possède de nombreux atouts dans sa distribution vocale avec Von Otter en Charlotte ou Upshaw en Sophie, mais un ténor calamiteux vient détruire tout ce bel ensemble.

La version Pappano 1998 (DM3494) est très intéressante avec un excellent Alagna. Gheorghiu est une Charlotte distinguée. Par contre, nous serons plus réservés sur la prestation de Thomas Hampson

Bibliographie


BESSAND-MASSENET, Pierre, Massenet, Coll. Biographie, Julliard, 1979
BRANCOUR, René, Massenet, Librairie Félix Alcan, 1922
MARSCHALL, Gottfried, "Werther" in Dictionnaire des oeuvres de l'art vocal, Bordas, 1992

Werther, L'Avant-Scène Opéra n° 61, mai/juin 1997

Liens

L'Avant-Scène Opéra a consacré son n° 61  à  Werther

Le livret se trouve en ligne :

Un site consacré à Jules Massenet

Les souvenirs du compositeur Alfred Bruneau sur son professeur Massenet:

 


Représentations dans le monde

 

Travers-sons >> Opéra >> Werther

© 2003 - La Médiathèque