Luigi NONO (1924-1990)

Prometeo

 

par Benoit van Langenhove


Prometeo, tragedia dell'ascolto
Dramma in musica
en un prologue, cinq "îles", deux "stasimons", deux interludes et deux "trois voix"
Livret sur des textes compilés ou rédigés par Massimo Cacciari
Composition : entre 1978 et 1984, revu en 1985
Création 1e version : Venise, Biennale de musique, 29 septembre 1984
Création 2e version :
Milan, salle de l'Ansaldo, automne 1985

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Luigi Nono, un cheminement

Les rencontres décisives avec Maderna et Scherchen sont à l'origine de la carrière de compositeur de Luigi Nono. Avec le premier, il renoue définitivement avec ses études musicales interrompues à quatorze ans et reprises sans conviction trois années plus tard au Conservatoire de Venise, sa ville natale; avec le second, il découvre la deuxième École de Vienne, et notamment Schoenberg et Webern à qui il vouera une admiration jamais démentie.

En 1950, Scherchen dirige ses Variations canoniques, première oeuvre qui fait scandale mais qui place aussitôt son auteur comme une des personnalités marquantes de cette génération.
Son parcours est déterminé par sa grande intégrité et, dès 1955, par son engagement politique auprès du P.C.I. Sans pour autant plier son écriture à une quelconque exigence propagandiste, Nono va témoigner très fortement contre les injustices, contre toute forme d'oppression et de fascisme, tentant à sa manière de porter l’art vers les milieux sociaux desquels il est généralement exclu (concerts dans les usines, dans les halls de grands magasins, etc.). C'est la raison pour laquelle il consacre, dans les années soixante, une bonne partie de son travail à la musique électroacoustique dont le support sur bande magnétique peut - a priori - permettre une diffusion élargie de l'oeuvre.

Sa musique requiert tous les moyens offerts à la composition moderne, avec une prédilection pour la voix, que ce soit en soliste ou au sein de grandes masses chorales traitées comme la réunion d'autant d’individualités.

À partir de 1980, avec l'aide des moyens techniques du Studio expérimental de Fribourg, Nono mêle le son et l'espace dans un temps en suspens, créant un jeu magique qui renouvelle de façon radicale le rapport entre eux.

Une phrase lue sur le mur d'un cloître de Tolède, datant du XIIIe siècle, peut faire figure de devise tant elle reflète les préoccupations du compositeur : "Caminates, no hay caminos, hay que caminar" (Pèlerins, il n'y a pas de chemin, il n'y a que cheminement). Souvent épurée, d'une austère beauté, la musique de Nono est certainement l'une des plus interrogatives de la deuxième moitié de notre siècle, celle d'un créateur solitaire et fidèle à une démarche sans faille.

Une tragédie de l'écoute

Prometeo est une imposante fresque interrogative sur les mystères du monde. Opéra en négatif, il demande néanmoins d'impressionnants moyens techniques et choraux implantés dans un lieu exceptionnel.

Tous les éléments proprement scéniques sont éliminés : il n'y a ni plateau, ni personnages qui agissent, ni décors, ni narration. En revanche, il y a un héros, Prométhée, confronté à la loi qu'incarne Zeus.

Selon la mythologie grecque, Prométhée, fils des Titans, a l'audace de façonner dans l'argile des êtres humains semblables aux dieux et de leur insuffler l'esprit et la vie. Mais cela fait d'eux les rivaux de la nouvelle race divine des dieux réunis autour de Zeus qui, pour cette raison, tient à les priver du dernier don vital, le feu. Or, Prométhée embrase une torche au char du soleil et apporte ainsi le feu aux hommes. Pour le punir de son arrogance, Zeus le fait enchaîner à un rocher où un aigle vient dévorer son foie qui se régénère sans cesse.

Mais Nono refuse une simple relecture du mythe antique d'Eschyle.

Il trouve chez les philosophes allemands Walter Benjamin et Nietzsche les références d'un Prométhée errant, sorte de “wanderer” (voyageur) en continuelle confrontation avec la loi, en transgression de celle-ci et en recherche incessante de l'inconnu. Le présent est une période de crise, de transition entre l'ancienne loi rigide, Zeus, qui représente le pouvoir en place, et un futur en forme d'affranchissement vers lequel l'homme progresse de façon tourmentée. Cette progression ne s'opère pas dans une grande révolution globale, mais par petites avancées, par des changements dans des points de détails, à l'image d'un archipel formé par un grand nombre d'îles.

Entendre Prometeo, c'est naviguer, cheminer entre ces îles. Navigation non narrative, répétons-le. Nono conçoit son Prometeo comme un "théâtre" d'événements exclusivement sonores.

Le livret, élaboré par Massimo Cacciari, ancien maire de Venise, rassemble entre autres des extraits de Goethe, Eschyle, Höderlin, Nietzsche ou encore Walter Benjamin. Superposés, fragmentés, malmenés ou rendus inintelligibles, ces textes oscillent entre le chant et la parole.

Lors de la première exécution, les musiciens étaient disposés sur trois galeries circulaires autour des spectateurs. À l'aide de moyens électroniques, de micros et de haut-parleurs placés à toutes les hauteurs - plus haut et plus bas que le public, en longueur et en largeur - Nono crée différents espaces sonores.

Les auditeurs sont plongés dans une scène musicale dont ils ne peuvent saisir la globalité. Seuls leur parviennent des atmosphères aériennes ténues, des échos de souvenirs lointains, des tutti saisissants, des continuums qui s'évanouissent, quelques souffles de vent sur la surface de l'eau.

Discographie

La discographie de cette oeuvre contemporaine est, on s'en doute, très maigre. Ingo Metzmacher (référence Médiathèque: FN6430) nous donne l'intégrale, enregistrée lors des concerts donnés dans le cadre du Festival de Salzbourg, tandis qu'Abbado (CB2105), par ailleurs créateur de la partition, nous en livre quelques extraits enregistrés en public à Berlin.

Bibliographie

NONO, Luigi, Écrits, Christian Bourgois Editeur, 1993.
MATAIGNE, Viviane, "Prometeo", Dictionnaire des oeuvres de l'art vocal, Bordas, Paris, 1992
Ars Musica 92, Répertoire discographique, Médiathèque C.F.B., Bruxelles, 1992.

Liens

Biographie de Luigi Nono sur le site de la Médiathèque de l'IRCAM

Un article de Stefan Beyst sur Prometeo

Un article de InterComunication, un journal japonais explorant les frontières entre art et technologie.

Un article de Friedemann Sallis dans la revue québecoise Circuit

 


Représentations dans le monde

 


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