Giacomo Puccini (1858 - 1924)

La Bohème - Puccini

 

Par Benoit van Langenhove  

 

Opéra en quatre actes
Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d'après le roman Scènes de la vie de bohème (1845-1851) d'Henri Murger et son adaptation théâtrale, La Vie de bohème, réalisée en collaboration avec Théodore Barrière.
Composition : Torre del Lago, Milan et Val di Nievole entre 1892 et le 10 décembre 1895.
Création : Turin, Teatro Regio, le 1er février 1896

 

Mi chiamano Mimi

Quatrième étape de l'œuvre lyrique de Puccini, La Bohème capte avec bonheur le frémissement de la jeunesse vagabonde, son aventure et son partage de la découverte du monde. Sa popularité tient à l'apparente facilité de son inspiration musicale, au jaillissement sans effort apparent des mélodies, aux enchaînements, sans effort perceptible, des épisodes contrastés.

Deux compositeurs heureux se rencontrent fortuitement ce 19 mars 1893 dans un café de Milan. Le premier, Ruggero Leoncavallo, vient de connaître la création triomphale, quelques mois auparavant, de son opéra Paillasse, le second, Giacomo Puccini, sort, avec succès, de la première, le 1er février précédent, de Manon Lescaut. Parlant de leur projets en cours, les deux amis découvrent leur projet identique de composition sur un livret tiré des Scènes de la vie de bohème de l'écrivain français Henri Murger. Brouillé par cet incident, les deux hommes déclenchent une polémique par journaux interposés. Que Leoncavallo écrive son opéra, disait en substance Puccini dans le Corriere della sera, j'écris le mien. Le public ensuite décidera. C'est ce que ce dernier fit, impitoyablement.

La bohème, antichambre de l'académie,
de l'hôtel-Dieu et de la morgue

La Bohème se déroule dans le monde artistique parisien en marge de la société bourgeoise du milieu du dix-neuvième siècle. Dans un mélange de romantisme et de réalisme, Henri Muger, "poète de l'école poitrinaire" ainsi qu'il se définissait, décrit la vie insouciante, malgré les difficultés matérielles, de ses compagnons artistes et de leurs petites amies. D'une exubérance pleine de jeunesse, les Scènes de la vie de bohème s'inspirent de l'existence joyeuse et difficile de Murger dans Montmartre et au Quartier Latin. Rodolphe est le portrait de l'écrivain lui-même; Marcel, le peintre, s'inspire de trois amis du cercle de Murger, son collègue Champfleury et les peintres Lazar et Tabar. Schaunard serait un certain Alexandre Schanne. Ce dernier publie en 1880 les Souvenirs de Schaunard qui révèle les vrais caractères des héros de Murger. Mimi concentre les caractères de Maria Vimal, "frêle, douce et innocente" jeune fille jetée à la rue après avoir été impliquée dans une affaire criminelle, et celui de Lucille Louvet, midinette, fabricante de fleurs artificielles, morte de tuberculose à l'âge de vingt ans. Musette était Marie Roux, grisette d'une incurable coquetterie et véritable exploiteuse d'hommes. Champfleury était son amant.

Paru en feuilleton dans le périodique parisien Le Corsaire, les Scènes de la vie de bohème deviennent en 1849 une pièce de théâtre et en 1851 un livre. À vingt-sept ans, Murger remporte un tel succès que, selon son mot ironique, il rêve qu'il est l'Empereur du Maroc et qu'il a épousé la Banque de France. Ce même esprit caustique anime le chapitre final du roman intitulé "La jeunesse n'a qu'un temps". Rodolphe et Marcel se retrouvent un an après la mort de Mimi. Après quelques saillies nostalgiques et désinvoltes, ils acceptent d'évoquer le passé, mais ce sera autour d'une bouteille de vrai vin, dans un bon fauteuil. Murger, en bon romantique, réactive le mythe de l'artiste qui ne peut que mourir jeune, fidèle à son idéal ou s'embourgeoiser dans les compromissions de la carrière officielle.

Che gelida manina

La rivalité entre Puccini et Leoncavallo n'accélérera pas l'écriture des opéras. Chacun des compositeurs ne s'escrimait pas à produire en premier un opéra sur La Bohème, mais à réaliser le meilleur. Ainsi, Puccini passa d'abord un premier temps à discuter longuement avec ses librettistes de la structure du drame. Une bataille coriace les opposa à propos d'une scène, présente chez Leoncavallo, où Musette, chassée de chez elle par les huissiers, donne une fête au clair de lune au milieu de la cour de l'immeuble transformé en salon. Au cours de ce bal improvisé, Mimi rencontre le vicomte Paolo. À la vision de son amie au bras d'un autre danseur, Rodolphe, fou de jalousie, s'enivre. Outre ses redondances avec les autres tableaux, cette scène avait aussi un peu trop de ressemblance avec la Traviata de Verdi. Avec la Bohème, Puccini disposait d'une histoire remarquable et d'un livret à la fois concentré et équilibré. L'idée directrice du froid se retrouve au long des quatre actes (soirée de Noël durant laquelle le poêle se meurt faute de combustible, la neige qui tombe au début du troisième acte). L'amour plus délicat de Rodolphe et Mimi contrebalance celui, plus passionné et extérieur de Marcel et Musette. Les actes extrêmes se déroulent symétriquement dans le même décor de mansarde misérable. De la même façon, ils démarrent sur les facéties de la vie de bohème. Semblables à un scherzo plein d'exubérance et à un andante plein de tendresse, les actes intermédiaires nous plonge dans les rues de Paris.

Un demi-échec.

La Bohème est, aujourd'hui, un des ouvrages les plus populaires du répertoire lyrique. La chose ne fut pas si évidente lors de la création au Teatro Regio de Turin sous la direction d'un jeune Arturo Toscanini de vingt-neuf ans. Tandis que le public accueillait favorablement l'opéra, les critiques étaient plus divisés. La première romaine au Teatro Argentina, quelques semaines plus tard, fut unanimement peu enthousiaste, celle de Naples à peine plus favorable. Il fallut attendre les représentations de Palerme pour connaître un premier véritable triomphe.

La popularité de la partition se fonde sur le génie mélodique de Puccini, capable de créer une abondance de thèmes facilement mémorables non seulement dans les airs, mais aussi dans les ensembles. On a souligné aussi avec raison les extraordinaires inventions descriptives de l'orchestre, par exemple les quintes à vides dessinant la chute de neige sur la désolation de la barrière d'Enfer au commencement du troisième acte. Là, Puccini fait oeuvre de naturalisme, de "réalisme poétique", en opposition au mouvement vériste auquel on l'attache à tort. Tout élément qui peut contribuer à créer l'atmosphère se trouve propulsé à l'avant-plan. L'inutilité dramatique du deuxième acte a été maintes fois mise en évidence, mais, sans sa présence la description de la vie de bohème, ses liens avec le quartier et la ville seraient affaiblis.

Leoncavallo

La partition de Leoncavallo connut un début triomphal. Son vérisme, ses effets théâtraux, son art de l'ensemble, en opposition au lyrisme intimiste de Puccini, plurent au public et à la critique. Soigneusement orchestré par les éditeurs des deux musiciens, la campagne de conquête du public sembla de prime abord favorable à Leoncavallo. Mais les limites de son inspiration, et les comparaisons avec les qualités de son collègue éloignèrent peu à peu l'œuvre des scènes. Irrémédiablement.

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L'intrigue

ACTE 1

Un groupe de jeunes artistes désargentés, la vie de bohème, à la veille de Noël : Marcello, le peintre, Rodolfo, le poète, et Colline, le philosophe, ont faim et froid. Heureusement Schaunard, le musicien, apporte victuailles et bois de chauffage. Benoît, le propriétaire, surgit pour réclamer son loyer, mais ils ont vite fait de l’éconduire. Rassurés, ils décident d’aller réveillonner au café Momus mais Rodolfo veut d’abord terminer son travail. C’est alors qu’une voisine vient lui demander du feu. La jeune fille tombe en syncope puis se ressaisit. Rodolfo déjà sous le charme, s’arrange pour qu’elle s’attarde. Ils font connaissance et rejoignent leurs amis au Quartier Latin.

ACTE 2

C’est la cohue. Au café Momus bondé, Rodolfo présente Mimì à ses amis. Musette, l’ancienne maîtresse de Marcello, arrive en faisant grand tapage. Elle a décidé de reconquérir Marcello, bien qu’elle soit en ménage avec le riche bourgeois Alcindoro. Une ruse habilement menée expédie Alcindoro chez le bottier et lui permet de se réconcilier avec Marcello.

ACTE 3

Mimì et Rodolfo ne forment plus un couple heureux : la jalousie de ce dernier rend la vie impossible. Rodolfo confie à Marcello que Mimì est gravement malade et ne survivra que si elle quitte leur vie de bohème misérable. Ils se sépareront au printemps. Musette et Marcello quant à eux se querellent sans cesse. Leur rupture est imminente.

ACTE 4

À nouveau seuls, Rodolfo et Marcello essaient de travailler. L’arrivée de leurs amis les distrait de leur nostalgie. Soudain Musette surgit bouleversée : Mimì est très malade. Celle-ci rejoint ses amis et meurt, retrouvant encore un instant l’amour de Rodolfo.

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La distribution

Mimi, soprano
Musetta, soprano
Rodolfo, poète, ténor
Marcello, peintre, baryton
Schaunard, musicien, baryton
Colline, philosophe, basse
Benoît, propriétaire de la maison, basse
Parpignol, vendeur ambulant, ténor
Alcindoro, conseiller d'état, basse
Sergent des douanes, basse

L'action se passe à Paris vers 1830.

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Discographie

Ce ne sont pas moins de trente-six versions de la Bohème qui sont disponibles dans les collections de la médiathèque. Et si nous ajoutons les disques d'extraits nous arrivons à quarante-huit références. Il va de soi que nous ne pourrons pas toutes les passer en revue. Si vous désirez les découvrir toutes, cliquez ici.

Du côté des enregistrements historiques, Toscanini, qui dirigeait la création, nous offre, comme souvent dans ses enregistrements américains, une direction d'orchestre passionnante et une distribution vocale problématique (réf. médiathèque DP9243). L'enregistrement de Thomas Beecham (1956) a souvent été loué, et avec raison, pour le très bel équilibre de sa distribution vocale : Björling est un des plus beaux Rodolfo qu'on puisse rêver et Victoria de Los Angeles lui donne superbement la réplique (DP9245). Carlo Bergonzi allie grâce et légèreté dans Rodolfo face à une Renata Tebaldi admirable chanteuse, mais dramatiquement trop placide. À leurs côtés, Serafin propose une direction d'orchestre lyrique et vigoureuse (DP9249). Avec La Bohème, Karajan a réalisé un de ses plus grands enregistrements pucciniens. Pavarotti prouvait ici qu'en plus de posséder une voix solaire, il était aussi un artiste intelligent. Freni est la sensibilité même dans le rôle de Mimi et l'Orchestre de la Philharmonie de Vienne déploie ses couleurs et ses veloutés les plus somptueux pour les accompagner (DP9248). Des enregistrements plus récents, on ne retiendra que les intégrales de Chailly (DP9270) et Pappano (DP9268). Il est d'ailleurs à remarquer que plus d'un chanteur se retrouve des deux côtés, à commencer par Alagna, Rodolfo impulsif chez le premier et plus héroïque chez le second. La Mimi de Vaduva (Pappano) est toute en fraîcheur, en intimité, tandis que Gheorghiu est plus dramatique chez Chailly. Ce dernier a choisi une direction d'orchestre rapide, nerveuse, et son confrère à une vision plus expressive de la partition.

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Bibliographie

AMY, Dominique, Giacomo Puccini, Seghers, coll. Musiciens de tous les temps, 1970
CARNER, Mosco, Puccini, trad. de l'anglais par Catherine Ludet, Jean-claude Lattès, coll. Musiques et musiciens, 1983
GAUTHIER, André, Puccini, Le Seuil, coll. Solfèges, 1961
La Bohème, L'Avant-scène Opéra n° 20

Liens

L'Avant-Scène Opéra a consacré son n° 20 à La Bohème

La biographie de Giacomo Puccini

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