Opéra
en 3 actes, opus 68
Titre original : Pikovaïa Dama
Livret de Modest Tchaïkovski d'après Pouchkine, avec des ajouts
de Piotr Karabanov, Vassily Joukovski et Konstantine Batiouchkov
Composition : janvier - mai 1890
Création : Saint-Pétersbourg, Théâtre Mariinski,
le 19 décembre 1890
Travers-sons >> Opéra >> La Dame de pique
La Dame de pique date de 1890. Avant-dernier opéra des 10 opéras composés par Tchaïkovski, il est, avec Eugène Onéguine, un des rares opéras restés à laffiche. Tchaïkovski est souvent décrit comme un romantique sentimental, mais on oublie de préciser que cétait un professionnel consommé. Son opéra précédent, L’Enchanteresse, est un échec. Son dernier ballet, La Belle au Bois dormant, pourtant réalisé avec Marius Petipa, ne fait pas mieux. Immédiatement, le compositeur décide de séloigner de la Russie et va chercher en Italie, à Florence, le calme et la sérénité nécessaires à la composition de son nouvel opéra. La commande venait du directeur des Théâtres Impériaux de St-Petersbourg qui souhaitait un opéra « à la française » construit sur le principe de lopéra à numéros avec récitatifs, airs et ensembles séparés.
Du point de vue musical, les éléments qui composent La Dame de pique sont d’une grande diversité. Un premier exemple nous montre l’empreinte de Bizet dans la scène d’ouverture. Le chœur d’enfant jouant au soldat doit vous rappeler quelque chose… On trouve aussi dans La Dame de pique des emprunts musicaux destinés à recréer un cadre vraisemblable. Un exemple, au début du 3e tableau, le chant de bienvenue reprend le style des cantates solennelles en usage en Russie au XVIIIe siècle. Linfluence de Mozart se trouve à deux niveaux : lun, bien visible, de la citation, lautre, plus diffus, de la structure. La citation se trouve au début de lintermède de la Bergère sincère, un pastiche de lopéra du XVIIIe. Dans lair de Chloé on retrouve en effet un thème extrait du 25e Concerto pour piano. Mais l’influence la plus forte se trouve dans la construction dramatique. Comme dans le Don Giovanni de Mozart, les moments de tension sont coupés par des scènes de divertissement. Et la fête, après avoir allégé le drame, le fait ressurgir. Lautre grande influence est Wagner. Quand on connaît le peu destime de Tchaïkovski pour le maître de Bayreuth, la chose pourrait étonner. Mais Tchaïkovski était réceptif à ce que lair du temps pouvait lui insuffler. La Dame de pique est lopéra de Tchaïkovski le mieux construit sur un canevas de leitmotive (thème de la comtesse, thème des 3 cartes, thème de lamour de Lisa).
Acte 1
Premier tableau
Dans le parc, les promeneurs observent les enfants qui jouent. Les garçons samusent à parader comme des soldats. Tchékalinski et Sourine évoquent la nuit précédente à la salle de jeux. Hermann sy est comporté de manière étrange : toute la soirée, il na fait que regarder les autres jouer. Lorsque Tomski demande à Hermann ce qui le hante, celui-ci lui avoue son amour pour une fille dont il ne connaît pas le nom. Tomski lencourage à découvrir son identité, mais Hermann ny tient pas. Dans le parc, les promeneurs se réjouissent de larrivée du printemps et se remémorent le bon vieux temps de leur jeunesse. Non sans ironie, Sourine et Tchékalinski félicitent Eletski à loccasion de ses fiançailles. Lisa arrive en compagnie de la Comtesse, sa grand-mère. Il apparaît quelle est à la fois la fiancée dEletski et la jeune fille dont Hermann sest épris. Lisa a remarqué Hermann, dont le regard démoniaque leffraie ; au même moment, la Comtesse, Hermann et Eletski sont frappés deffroi, comme sils pressentaient ce qui allait leur arriver. La Comtesse séloigne, ainsi que Lisa et Eletski. Tomski raconte lhistoire de la vieille Comtesse. Dans sa jeunesse, elle avait vécu à Paris où elle était connue comme la « Vénus moscovite ». Un jour, tandis quelle avait perdu aux cartes, un admirateur proposa de lui confier le secret de trois cartes gagnantes en échange dun rendez-vous galant. Elle accepta et récupéra sa fortune. Par la suite, elle révéla ce secret à deux hommes, mais un spectre lui annonça que si un troisième homme, poussé par la passion, venait à lui arracher son savoir, elle en mourrait
Hermann se jure de gagner la main de Lisa.
Deuxième tableau
Lisa et Polina chantent pour leurs amies. L’air de Polina, qui préfigure
la suite des événements, est suivi par une danse à laquelle
la gouvernante vient mettre un terme en sermonnant les jeunes filles pour
leur inconduite. Lisa est triste à cause de ses fiançailles,
et Polina la menace d’en parler au prince Eletski. Restée seule, Lisa
pleure en pensant au jeune homme dont le regard l’a tant troublée.
Sur ces entrefaites, Hermann apparaît et lui déclare son amour.
Alertée par le bruit, la Comtesse fait irruption dans la chambre de
Lisa. Elle quitte la pièce sans avoir vu Hermann, laissant celui-ci
en tête-à-tête avec Lisa. Hermann évoque son obsession
pour le secret des cartes et lui redit son amour. Lisa ne peut y résister.
Acte 2
Premier tableau
Lors d’un bal, Tchékalinski et Sourine, sous le regard de Tomski, attisent
l’obsession d’Hermann pour les trois cartes. Eletski est perturbé par
la froideur de Lisa et la prie de se confier à lui. Hermann est de
plus en plus déterminé à découvrir le secret des
cartes. Une pastorale intitulée « La bergère sincère
» est proposée aux invités. Plus tard, Lisa remettra à
Hermann une clé et lui expliquera comment la rejoindre en passant par
la chambre de la Comtesse. Les hôtes se réjouissent de l’arrivée
de la Tsarine.
Deuxième tableau
Hermann pénètre dans la chambre à coucher de la Comtesse.
Tandis qu’il fixe du regard le portrait de celle-ci, il est assailli par le
pressentiment que leurs destins sont liés. La Comtesse entre alors
dans la pièce avec ses servantes ; Hermann se cache. Elle se remémore
ses années de jeunesse à Paris et entonne un air de Grétry.
Après avoir renvoyé ses servantes, elle reprend son chant mais
est interrompue par Hermann. Il la supplie de lui confier le secret des trois
cartes ; devant son refus, il insiste, puis la menace avec tant de virulence
qu’elle est terrorisée et en meurt. À ce moment-là, Lisa
se précipite dans la chambre, découvre avec horreur que la Comtesse
est morte, et que le seul et unique souci d’Hermann est de connaître
le secret des cartes.
Acte 3
Premier tableau
Hermann lit une lettre de Lisa : elle lui fixe rendez-vous car elle souhaite savoir si elle compte vraiment pour lui. Hermann est hanté par le souvenir de la Comtesse dans son cercueil. Il l'a vu lui faire un clin dil. Le spectre de la Comtesse apparaît et lui révèle la combinaison des cartes gagnantes : le trois, le sept et las.
Deuxième tableau
Lisa attend Hermann, qui finit par arriver. Il proteste de son amour pour
elle, mais souhaite l’emmener sur-le-champ à la maison de jeux : il
lui raconte que la Comtesse lui a finalement révélé le
fameux secret. À présent convaincue qu’il a tué la Comtesse,
Lisa s’accroche malgré tout à lui, mais il la repousse : tandis
qu’il se sauve, elle se suicide.
Troisième tableau
Dans la maison de jeu, une partie de cartes a commencé. Eletski raconte
à Tomski que ses fiançailles sont rompues. Tomski entonne une
chanson salace et cynique. Pâle et hagard, Hermann fait irruption ;
Eletski bouillonne de jalousie. À l’étonnement de tous, Hermann
s’installe à la table de jeu. Il mise 40 000 roubles sur la première
carte, tire le trois et gagne. Il tire ensuite le sept, et gagne à
nouveau. Dans son délire, il évoque la chance comme la seule
réalité de la vie, et la mort comme son unique certitude. Il
propose de jouer une troisième fois ; Eletski relève le défi.
Tchékalinski distribue les cartes et Hermann déclare, confiant,
qu’il possède l’as. Eletski lui signale que ce n’est pas l’as mais
la dame de pique qu’il a en main. Hermann voit alors apparaître le spectre
de la Comtesse et se tire une balle dans la tête.
Herman, ténor
La vieille comtesse, contralto ou mezzo
Lisa, sa pupille, soprano
Pauline, son amie, contralto ou mezzo
Prince Yeletzky, baryton ou basse
Comte Tomsky, baryton ou basse
Chekalinsky, ténor
Surin, basse
Une gouvernante, mezzo-soprano
Masha, servante de Lisa, soprano
Chaplitsky, ténor
Narumov, basse
Le garçon capitaine, voix d'enfant
Prilipa [Chloë dans l'intermezzo] soprano
Milovzor [Daphnis dans l'intermezzo], contralto
Zlatogor [Pluton dans l'intermezzo], baryton
Enfants, nurses, gouvernantes, nourrices, promeneurs, jeunes filles, vieilles
dames, jeunes gens, invités, amies de Lisa, bergers, bergères,
vieillards, femmes de chambre, dames de compagnie, joueurs, choeurs
La scène se passe à Saint-Pétersbourg à la fin
du XVIIIe siècle.
Dans les enregistrements de La Dame de pique disponibles à la Médiathèque, nous mettrons en évidence trois intégrales. La première, signée par Seiji Ozawa (DT3636), provient de l'enregistrement de l'opéra en semi-staged au Boston Symphony Hall et au Carnegie Hall de New York. La distribution est dominée par l'étonnant ténor Vladimir Atlantov. A ses côtés, Mirella Freni chante toujours aussi admirablement le rôle de Lisa, même si on peut lui reprocher d'être trop agée pour le rôle. A leurs côtés, Sergei Leiferkus et Dmitri Hvorostovski campent d'admirable Tomsky et Eletsky. Dernière cerise sur le gâteau, la comtesse chantée par la fabuleuse Maureen Forrester. Du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg vient une nouvelle production tonitruante (DT3637). Gergiev dirige avec force, contrôlant au millimètre l'impact dramatique de son orchestre déclenchant ici la plus fantastique tempête, là ciselant la mélodie d'une romance. La distribution vocale nous un bel ensemble de voix de style slave. Le caractère tourmenté de Herman est très bien mis en valeur par la voix à la fois brillante et puissante de Gegam Grigorian. À ses côtés, une distribution sans faille dont on distingue Maria Goulegina, une Lisa jeune et lyrique ou Olga Borodina en Pauline. Cette réalisation est aussi sortie en DVD, mais dans une mise en scène bien trop sage (DT3638). Sagesse, n'est pas le terme qui vient à l'esprit pour l'enregistrement hautement emporté et personnel de Rostropovitch. On adore ou on hait, il n'y a pas de compromis possible. Personnellement, j'emporte sur mon île déserte la scène où la comtesse se remémore ses souvenirs parisiens : Regina Resnick réalise une des plus belle page de l'histoire de l'enregistrement sonore (DT3633).
KAMINSKI, Piotr, Mille et un opéras, Fayard, 2003
La Dame de pique, L'Avant-scène Opéra n°119/120,
nouvelle édition décembre 2004
L'Avant-Scène Opéra a consacré son n°119/120 à La Dame de pique
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