Piotr Ilyitch TCHAÏKOVSKI (1840 - 1893)

La Dame de pique

par Benoit van Langenhove

Opéra en 3 actes, opus 68
Titre original : Pikovaïa Dama
Livret de Modest Tchaïkovski d'après Pouchkine, avec des ajouts de Piotr Karabanov, Vassily Joukovski et Konstantine Batiouchkov
Composition : janvier - mai 1890
Création : Saint-Pétersbourg, Théâtre Mariinski, le 19 décembre 1890

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Contexte de La Dame de pique

La Dame de pique date de 1890. Avant-dernier opéra des 10 opéras composés par Tchaïkovski, il est, avec Eugène Onéguine, un des rares opéras restés à l’affiche. Tchaïkovski est souvent décrit comme un romantique sentimental, mais on oublie de préciser que c’était un professionnel consommé. Son opéra précédent, L’Enchanteresse, est un échec. Son dernier ballet, La Belle au Bois dormant, pourtant réalisé avec Marius Petipa, ne fait pas mieux. Immédiatement, le compositeur décide de s’éloigner de la Russie et va chercher en Italie, à Florence, le calme et la sérénité nécessaires à la composition de son nouvel opéra. La commande venait du directeur des Théâtres Impériaux de St-Petersbourg qui souhaitait un opéra « à la française » construit sur le principe de l’opéra à numéros avec récitatifs, airs et ensembles séparés.

La partition

Du point de vue musical, les éléments qui composent La Dame de pique sont d’une grande diversité. Un premier exemple nous montre l’empreinte de Bizet dans la scène d’ouverture. Le chœur d’enfant jouant au soldat doit vous rappeler quelque chose… On trouve aussi dans La Dame de pique des emprunts musicaux destinés à recréer un cadre vraisemblable. Un exemple, au début du 3e tableau, le chant de bienvenue reprend le style des cantates solennelles en usage en Russie au XVIIIe siècle. L’influence de Mozart se trouve à deux niveaux : l’un, bien visible, de la citation, l’autre, plus diffus, de la structure. La citation se trouve au début de l’intermède de la Bergère sincère, un pastiche de l’opéra du XVIIIe. Dans l’air de Chloé on retrouve en effet un thème extrait du 25e Concerto pour piano. Mais l’influence la plus forte se trouve dans la construction dramatique. Comme dans le Don Giovanni de Mozart, les moments de tension sont coupés par des scènes de divertissement. Et la fête, après avoir allégé le drame, le fait ressurgir. L’autre grande influence est Wagner. Quand on connaît le peu d’estime de Tchaïkovski pour le maître de Bayreuth, la chose pourrait étonner. Mais Tchaïkovski était réceptif à ce que l’air du temps pouvait lui insuffler. La Dame de pique est l’opéra de Tchaïkovski le mieux construit sur un canevas de leitmotive (thème de la comtesse, thème des 3 cartes, thème de l’amour de Lisa).

Le livret

Acte 1

Premier tableau
Dans le parc, les promeneurs observent les enfants qui jouent. Les garçons s’amusent à parader comme des soldats. Tchékalinski et Sourine évoquent la nuit précédente à la salle de jeux. Hermann s’y est comporté de manière étrange : toute la soirée, il n’a fait que regarder les autres jouer. Lorsque Tomski demande à Hermann ce qui le hante, celui-ci lui avoue son amour pour une fille dont il ne connaît pas le nom. Tomski l’encourage à découvrir son identité, mais Hermann n’y tient pas. Dans le parc, les promeneurs se réjouissent de l’arrivée du printemps et se remémorent le bon vieux temps de leur jeunesse. Non sans ironie, Sourine et Tchékalinski félicitent Eletski à l’occasion de ses fiançailles. Lisa arrive en compagnie de la Comtesse, sa grand-mère. Il apparaît qu’elle est à la fois la fiancée d’Eletski et la jeune fille dont Hermann s’est épris. Lisa a remarqué Hermann, dont le regard démoniaque l’effraie ; au même moment, la Comtesse, Hermann et Eletski sont frappés d’effroi, comme s’ils pressentaient ce qui allait leur arriver. La Comtesse s’éloigne, ainsi que Lisa et Eletski. Tomski raconte l’histoire de la vieille Comtesse. Dans sa jeunesse, elle avait vécu à Paris où elle était connue comme la « Vénus moscovite ». Un jour, tandis qu’elle avait perdu aux cartes, un admirateur proposa de lui confier le secret de trois cartes gagnantes en échange d’un rendez-vous galant. Elle accepta et récupéra sa fortune. Par la suite, elle révéla ce secret à deux hommes, mais un spectre lui annonça que si un troisième homme, poussé par la passion, venait à lui arracher son savoir, elle en mourrait… Hermann se jure de gagner la main de Lisa.

Deuxième tableau
Lisa et Polina chantent pour leurs amies. L’air de Polina, qui préfigure la suite des événements, est suivi par une danse à laquelle la gouvernante vient mettre un terme en sermonnant les jeunes filles pour leur inconduite. Lisa est triste à cause de ses fiançailles, et Polina la menace d’en parler au prince Eletski. Restée seule, Lisa pleure en pensant au jeune homme dont le regard l’a tant troublée. Sur ces entrefaites, Hermann apparaît et lui déclare son amour. Alertée par le bruit, la Comtesse fait irruption dans la chambre de Lisa. Elle quitte la pièce sans avoir vu Hermann, laissant celui-ci en tête-à-tête avec Lisa. Hermann évoque son obsession pour le secret des cartes et lui redit son amour. Lisa ne peut y résister.

Acte 2

Premier tableau

Lors d’un bal, Tchékalinski et Sourine, sous le regard de Tomski, attisent l’obsession d’Hermann pour les trois cartes. Eletski est perturbé par la froideur de Lisa et la prie de se confier à lui. Hermann est de plus en plus déterminé à découvrir le secret des cartes. Une pastorale intitulée « La bergère sincère » est proposée aux invités. Plus tard, Lisa remettra à Hermann une clé et lui expliquera comment la rejoindre en passant par la chambre de la Comtesse. Les hôtes se réjouissent de l’arrivée de la Tsarine.

Deuxième tableau
Hermann pénètre dans la chambre à coucher de la Comtesse. Tandis qu’il fixe du regard le portrait de celle-ci, il est assailli par le pressentiment que leurs destins sont liés. La Comtesse entre alors dans la pièce avec ses servantes ; Hermann se cache. Elle se remémore ses années de jeunesse à Paris et entonne un air de Grétry. Après avoir renvoyé ses servantes, elle reprend son chant mais est interrompue par Hermann. Il la supplie de lui confier le secret des trois cartes ; devant son refus, il insiste, puis la menace avec tant de virulence qu’elle est terrorisée et en meurt. À ce moment-là, Lisa se précipite dans la chambre, découvre avec horreur que la Comtesse est morte, et que le seul et unique souci d’Hermann est de connaître le secret des cartes.


Acte 3

Premier tableau
Hermann lit une lettre de Lisa : elle lui fixe rendez-vous car elle souhaite savoir si elle compte vraiment pour lui. Hermann est hanté par le souvenir de la Comtesse dans son cercueil. Il l'a vu lui faire un clin d’œil. Le spectre de la Comtesse apparaît et lui révèle la combinaison des cartes gagnantes : le trois, le sept et l’as.

Deuxième tableau
Lisa attend Hermann, qui finit par arriver. Il proteste de son amour pour elle, mais souhaite l’emmener sur-le-champ à la maison de jeux : il lui raconte que la Comtesse lui a finalement révélé le fameux secret. À présent convaincue qu’il a tué la Comtesse, Lisa s’accroche malgré tout à lui, mais il la repousse : tandis qu’il se sauve, elle se suicide.

Troisième tableau
Dans la maison de jeu, une partie de cartes a commencé. Eletski raconte à Tomski que ses fiançailles sont rompues. Tomski entonne une chanson salace et cynique. Pâle et hagard, Hermann fait irruption ; Eletski bouillonne de jalousie. À l’étonnement de tous, Hermann s’installe à la table de jeu. Il mise 40 000 roubles sur la première carte, tire le trois et gagne. Il tire ensuite le sept, et gagne à nouveau. Dans son délire, il évoque la chance comme la seule réalité de la vie, et la mort comme son unique certitude. Il propose de jouer une troisième fois ; Eletski relève le défi. Tchékalinski distribue les cartes et Hermann déclare, confiant, qu’il possède l’as. Eletski lui signale que ce n’est pas l’as mais la dame de pique qu’il a en main. Hermann voit alors apparaître le spectre de la Comtesse et se tire une balle dans la tête.

Distribution

Herman, ténor
La vieille comtesse, contralto ou mezzo
Lisa, sa pupille, soprano
Pauline, son amie, contralto ou mezzo
Prince Yeletzky, baryton ou basse
Comte Tomsky, baryton ou basse
Chekalinsky, ténor
Surin, basse
Une gouvernante, mezzo-soprano
Masha, servante de Lisa, soprano
Chaplitsky, ténor
Narumov, basse
Le garçon capitaine, voix d'enfant
Prilipa [Chloë dans l'intermezzo] soprano
Milovzor [Daphnis dans l'intermezzo], contralto
Zlatogor [Pluton dans l'intermezzo], baryton
Enfants, nurses, gouvernantes, nourrices, promeneurs, jeunes filles, vieilles dames, jeunes gens, invités, amies de Lisa, bergers, bergères, vieillards, femmes de chambre, dames de compagnie, joueurs, choeurs

La scène se passe à Saint-Pétersbourg à la fin du XVIIIe siècle.

Discographie

Dans les enregistrements de La Dame de pique disponibles à la Médiathèque, nous mettrons en évidence trois intégrales. La première, signée par Seiji Ozawa (DT3636), provient de l'enregistrement de l'opéra en semi-staged au Boston Symphony Hall et au Carnegie Hall de New York. La distribution est dominée par l'étonnant ténor Vladimir Atlantov. A ses côtés, Mirella Freni chante toujours aussi admirablement le rôle de Lisa, même si on peut lui reprocher d'être trop agée pour le rôle. A leurs côtés, Sergei Leiferkus et Dmitri Hvorostovski campent d'admirable Tomsky et Eletsky. Dernière cerise sur le gâteau, la comtesse chantée par la fabuleuse Maureen Forrester. Du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg vient une nouvelle production tonitruante (DT3637). Gergiev dirige avec force, contrôlant au millimètre l'impact dramatique de son orchestre déclenchant ici la plus fantastique tempête, là ciselant la mélodie d'une romance. La distribution vocale nous un bel ensemble de voix de style slave. Le caractère tourmenté de Herman est très bien mis en valeur par la voix à la fois brillante et puissante de Gegam Grigorian. À ses côtés, une distribution sans faille dont on distingue Maria Goulegina, une Lisa jeune et lyrique ou Olga Borodina en Pauline. Cette réalisation est aussi sortie en DVD, mais dans une mise en scène bien trop sage (DT3638). Sagesse, n'est pas le terme qui vient à l'esprit pour l'enregistrement hautement emporté et personnel de Rostropovitch. On adore ou on hait, il n'y a pas de compromis possible. Personnellement, j'emporte sur mon île déserte la scène où la comtesse se remémore ses souvenirs parisiens : Regina Resnick réalise une des plus belle page de l'histoire de l'enregistrement sonore (DT3633).

 

Bibliographie

KAMINSKI, Piotr, Mille et un opéras, Fayard, 2003

La Dame de pique, L'Avant-scène Opéra n°119/120, nouvelle édition décembre 2004

Liens

L'Avant-Scène Opéra a consacré son n°119/120 à La Dame de pique

 


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