Giuseppe VERDI (1813-1901)

 

Aïda

 

Par Benoit van Langenhove  


 

Opéra en quatre actes
Livret d'Antonio Ghislanzoni,
d'après un scénario d'Auguste Mariette

Création: Le Caire, Théâtre khédival, le 24 décembre 1871

 

Regards sur Aïda

Aïda est l’opéra de Verdi le moins connu. Cette affirmation peut paraître paradoxale pour une partition qui fait la joie des publics de tous les opéras en herbe de la terre. Pourtant, rappelez-vous, il y a quelques jours, quand vous avez annoncé à vos amis que vous alliez écouter Aïda, n’avez-vous pas eu de leur part un regard de commisération qui avait l’air de se demander pourquoi de si distingués mélomanes se dérangeaient pour un défilé de dromadaires et d’éléphants entourés de chœurs en tuniques blanches qui remuent l’air avec des palmes. Et c’est là que réside le terrible malentendu d’Aïda : le grand public y voit un opéra à grand spectacle, quand le mélomane y entend une succession de scènes intimes qui traitent du conflit insoluble entre l’éthique et la nature, entre la loi morale et les exigences de la vie, un drame où l’amour, la jalousie, le devoir, l’honneur et la trahison se heurtent terriblement.

Mais Aïda a ses problèmes. Surtout son livret dont le scénario fait preuve d’une désinvolture historique digne d’Hollywood au temps de Cecil B. de Mille. Ce scénario fut conçu par le célèbre égyptologue français Auguste Mariette, qui créa aussi les décors et costumes, afin de garantir la justesse historique de la production. L´action se déroule au temps des pharaons et relate l´histoire de Radamès, général égyptien, qui dédaigne l´amour de la fille du roi d´Egypte en faveur d´Aïda, une jeune esclave qui n´en est pas moins la fille du roi d´Ethiopie, ennemi mortel du roi d´Egypte. Par amour pour elle, il trahit son pays et est condamné à être enterré vif; Aïda le suit dans la mort.

Dès 1870, le bruit courrait que le projet du livret était l’œuvre du vice-roi d’Egypte, le khédive Ismail Pacha. Pour des raisons politiques, Ismail Pacha essayait de faire reconnaître en droit la validité du pouvoir que sa famille exerçait en fait depuis plus de soixante ans de façon indépendante de la tutelle du sultan turc. Mais le passé de l’Egypte était totalement inconnu du monde politique. Ismail Pacha avait fait ses études en France et était donc plus familier avec l’histoire de Rome qu’avec celle des pharaons. D’où ces non-sens historiques : une action qui se déroule dans le temple de Vulcain (dieu romain !) à Memphis, dans la vallée du Nil, un morceau de bravoure qui ressemble étrangement à un triomphe romain et un supplice que le monde des pharaons a toujours ignoré : la mort du héros condamné à être enterré vivant.

Au sein de l’œuvre de Verdi, Aïda est considérée comme une œuvre de consolidation, dans laquelle le compositeur met à profit ses années d’expérience avant de se forger le nouveau langage audacieux de ses derniers opéras. Chronologiquement, Aïda (1871) se situe entre Don Carlos (première version) (1867), les révisions de La Forza del destino (1869) et la Messa di requiem (1874).

Aïda, nous l’avons dit, est construit sur l’opposition entre trois personnes : Radamès, Aïda et Amneris. Le premier à venir sur scène est le jeune militaire. Son aria d’ouverture, au début de l'acte I,  Celeste Aïda (récitatif-arioso de forme libre précédant l’aria) est construit sur trois idées musicales distinctes : le récitatif d’ouverture traite de l’ambition de Radamès, la mélodie principale de son amour pour Aïda et la section centrale de son attitude envers l’amour qu’Aïda porte à sa patrie; chaque section se caractérise par une musique différente. Ce qui frappe d’abord, c’est le contraste qui existe entre les différentes sections, surtout entre le récitatif et l’aria. Dans le récitatif, les paroles de Radamès sont de caractère fortement martial : elles sont ponctuées par un motif de trompettes qui se retrouvera lors de la scène du triomphe. L’aria proprement dit se transforme subitement en une mélodie lyrique accompagnée de cordes et de vents qui créent un effet de couleur locale chatoyant; le contraste des deux parties n’est adouci ni par une transition, ni par une introduction. De plus, Radamès ne semble pas être conscient du caractère hautement contrasté de ce qu’il chante; il est aveugle face au conflit qui existe entre son ambition de gagner la guerre d’une part, et son amour pour Aïda. Verdi démontre à travers une musique brusquement contrastée l’incompatibilité intrinsèque des obsessions de Radamès et nous avertit de leur collision prochaine.

Dans l'air Ritorna vincitor (acte I), Aïda a une perception claire des tensions inconciliables auxquelles elle est confrontée. De nouveau, chaque section de la pièce traduit des idées distinctes, formant ici une progression qui conduit inexorablement l’héroïne au désespoir : elle est déchirée entre son amant d’un coté, son père et sa patrie de l’autre ; elle proclame passionnément son amour de son pays mais se rappelle immédiatement celui qu’elle éprouve pour Radamès. En proie à l’angoisse, elle s’écrie qu’elle ne peut choisir entre son père et son amant, la réconciliation ne pouvant avoir lieu que dans la mort. A la fin de l’aria, elle se retourne vers les dieux pour demander pitié. Contrairement à l’air de Radamès, les contrastes ne sont pas soulignés : chaque section se fond dans la suivante. Ainsi le caractère d’Aïda est-il dépeint musicalement à travers les conflits qui constituent le cœur du drame.

Amneris, le troisième et dernier personnage principal, est sans doute le plus intéressant. La fille du Pharaon est partagée entre deux passions contradictoires, son amour désespéré pour Radamès et son désir de vengeance. Amneris domine entièrement les moments essentiels de l’action comme la scène du jugement à l’acte IV. Dans cette scène, elle révèle une personnalité dramatique hors du commun, exprimant tour à tour, avec une égale profondeur, l’amour malheureux, la tendresse déçue, la fureur de vengeance, le désespoir et le remords. Ces métamorphoses d’élans passionnés aboutissent à la grande imprécation qui conclut la scène.

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Le Livret

Acte I

Memphis, dans le Palais Royal. Le Grand prêtre Ramphis et le capitaine des gardes Radamès discutent des derniers événements : l’armée éthiopienne s’est à nouveau mise sur le pied de guerre. La déesse Isis a révélé à Ramphis le nom du commandant des troupes égyptiennes s’opposant aux Ethiopiens. Resté seul, Radamès imagine qu’il a été désigné comme chef et qu’il restitue à l’esclave Aïda, la fille du roi d’Ethiopie Amonasro, dont il est amoureux, le territoire qui lui revient [Celeste Aïda]. Amnéris, qui aime Radamès, arrive sur ces entrefaites pour sonder les sentiments profonds qui animent ce dernier. Aïda les rejoint; Amnéris perçoit intuitivement le sentiment qui les unit [Trio : Forse d’arcano amor]. Le roi d’Egypte Ramphis et sa suite apprennent que les Ethiopiens, sous la conduite du Roi Amonasro, ont envahi l’Egypte et marchent sur Thèbes. Le Roi révèle qu’Isis a désigné Radamès comme commandant de l'armée égyptienne [Choeur: Su, del Nilo]. Aïda est effrayée par la nouvelle qui fait au contraire exulter de joie Radamès. Restée seule, la princesse éthiopienne médite sur le dilemme dans lequel elle est enfermée : partagée entre son amour et sa patrie, elle prie les dieux d’avoir pitié de ses souffrances [Aria : Numi, pietà del mio soffrir].
Memphis, dans le temple de Vulcain. Ramphis, les prêtres et les prêtresses invoquent leur dieu afin qu’il soit favorable à l’armée égyptienne [Choeur : Possente Fthà].

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Acte II

Dans les appartements d’Amnéris. Les esclaves sont en train de vêtir Amnéris pour la fête organisée pour célébrer leur triomphe [Choeur : Chi mai fra gl’inni e i plausi]. La princesse égyptienne continue à soupçonner les sentiments de Aïda. Elle finit par les connaître clairement en lui communiquant la fausse nouvelle de la mort de Radamès. N’ayant alors plus le moindre doute, elle enlève son masque et dévoile son stratagème en jurant vengeance [Duetto: Pietà ti prenda del mio dolor!]. Une fanfare et un chœur triomphal célèbrent, dans le fond de la scène, l’entreprise victorieuse de Radamès [Choeur : Su, del Nilo al sacro lido ] .
Aux portes de la ville de Thèbes. Le peuple entonne un hymne en l’honneur de la victoire [Choeur : Gloria all’Egitto]. Les troupes égyptiennes défilent devant le Roi. Radamès, qui clôt le cortège, installé au sommet d’un baldaquin, est couronné par Amnéris. Le Roi s’engage à exaucer chacun de ses souhaits. Les prisonniers sont conduits devant le Roi. Aïda reconnaît parmi eux Amonasro, son père, qui implore la pitié non pour lui mais pour ses guerriers [Andante sostenuto : Quest’assise ch’io vesto]. Aïda, les prisonniers et les esclaves se joignent aux prières d’Amonasro, en s’opposant ainsi à Ramphis et aux prêtres. Intervient Radamès qui, se souvenant de l’engagement du Roi, demande que les prisonniers soient graciés. Face aux objections de Ramphis, le Roi décide que Aïda et Amonasro resteront sous sa surveillance, mais que tous les autres prisonniers seront libérés. Le Roi offre à Radamès la main d’Amnéris en récompense de ses services. La scène s’achève sur les acclamations de la foule.

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Acte III

Sur les rives du Nil. Dans le temple, les fidèles invoquent la déesse Isis [Choeur : O tu che sei Osiride]. Amnéris et Ramphis pénètrent à leur tour dans le temple pour formuler des vœux propitiatoires à la veille du mariage. Aïda se rend aussi sur les lieux, où elle évoque avec nostalgie son pays [Aria : Oh patria mia]. Arrive à son tour Amonasro qui lui assure qu’elle pourra retourner dans sa patrie et lui promet la gloire et l’amour si elle parvient à savoir quelle voie emprunteront les Egyptiens. Le peuple éthiopien pourra ainsi les surprendre. Aïda doit parvenir à soutirer ce secret à Radamès. Après un premier moment d’effroi, elle se ressaisit et finit par accepter [Duo : Rivedrai le foreste imbalsamate]. Radamès arrive. Aïda, pour se soustraire à l’injonction de son père, le supplie de s’enfuir avec elle [Duo : Fuggiam gli ardori inospiti]. Radamès ne comprend pas. Elle l’accuse alors de ne pas l’aimer mais le héros finit par lui donner son accord : ils fuiront ensemble, en traversant le défilé de Nàpata. Amonasro surgit de sa cachette. Radamès comprend qu’il a été déshonoré. Aïda et son père cherchent à le réconforter tandis que surviennent Ramphis et Amnéris. Amonasro tente de tuer la princesse égyptienne mais il est arrêté par Radamès. Il parvient à s’enfuir avec sa fille, mais les gardes se mettent à leur poursuite. Radamès se livre aux prêtres.

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Acte IV

Dans le Palais du Roi. Près de la porte qui donne sur la salle souterraine où se tient le tribunal, Amnéris songe à la manière dont elle pourrait sauver Radamès. Ce dernier entre, conduit par les gardes. Amnéris le conjure de se rétracter mais le héros déclare qu’il veut mourir. La princesse lui révèle alors que Aïda est encore en vie. Radamès, qui croyait qu’elle avait été tuée, comprend que sa propre mort servira à protéger sa bien-aimée [Duo : Ah, tu dêi vivere !]. Dans le souterrain, les prêtres et Ramphis invoquent la justice divine [Choeur : Spirto del Nume]. Radamès refuse de se disculper. Il est condamné à être enterré vivant. Amnéris invoque la pitié des prêtres, mais en vain; elle jette alors l’anathème sur eux.
A l’intérieur du temple de Vulcain et dans le souterrain (scène sur deux niveaux). Les prêtres enferment Radamès sous la pierre tombale. Le héros pense à Aïda, qui se présente soudain devant lui : comme elle avait pressenti sa condamnation, elle s’est glissée dans le tombeau avant que la sentence ne fût prononcée, afin de mourir avec lui [Duo : Morir sì pura e bella]. On entend le chant des prêtres au-dessus d’eux. Radamès ne parvient pas à pousser la pierre tombale. Tous deux, tendrement enlacés, adressent leur dernier salut au monde. Amnéris, en habits de deuil, se prosterne sur la tombe.

 

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La distribution

Aïda, esclave éthiopienne - soprano
Radamès, capitaine de la garde - ténor
Amneris, fille du Roi d'Egypte - Mezzo-soprano
Amonasro, Roi d'Ethiopie et père d'Aïda - Baryton
Ramfis, Grand prêtre - basse
Le Roi d'Egypte - basse
Une prêtresse - soprano
Un messager - ténor

L'action se passe à Memphis et Thèbes au temps de la puissance des pharaons.

 

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Discographie sélective

Une version domine la discographie, celle dirigée par Solti à la tête des choeurs et de l'orchestre de l'Opéra de Rome (DV3308 et DV2214). Le plateau vocal réunit les remarquables prestations de Leontyne Price, Rita Gorr et Jon Vickers. Les orchestres d'Abbado (DV3315) et de Muti (DV3310) sont admirables, mais on restera plus réservé sur les chanteurs. Callas nous a aussi laissé un beau témoignage (DV3305), même si Aïda n'était pas son meilleur rôle. Elle a pour partenaire un Gobbi impérial dans le rôle d'Amonasro et une très bonne Barbieri en Amneris. Les enregistrements de Toscanini (DV3303) et d'Harnoncourt ont le même défaut rédhibitoire : un orchestre inventif face à une distribution vocale déficiente. Les amateurs de vieille cires écouteront avec grand intéret l'admirable enregistrement d'Aïda réalisé dans les années 20 à la Scala par Sabajno (DV3300) : l'admirable phrasé de Pertile, l'autorité de Minghini-Cattaneo, le goût d'Inghilleri et le feu de Giannini composent un exceptionnel plateau vocal, écho d'une époque glorieuse du chant italien.

Pour avoir l'intégrale des enregistrements d'Aïda, cliquez ici
 

Pour connaitre la distribution complète et la disponibilité, cliquez sur la référence Médiathèque.

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Bibliographie

BOURGEOIS, Jacques, Giuseppe Verdi, biographie, Juillard, 1978
CABOURG, Jean, Guide des opéras de Verdi, Fayard, 1990
DE VAN, Gilles, Verdi, un théâtre en musique, Fayard, 1992
LABIE, Jean-François, Le cas Verdi, Laffont, 1987
PETIT, Pierre, Verdi, Collection "Solfèges", Le Seuil, 1976
PHILIPS-MATZ, Mary Jane, Giuseppe Verdi, Fayard, 1996 
Aïda, L'Avant-Scène Opéra n°4, 1976. 

Liens

L'Avant-Scène Opéra a consacré son n° 4  à  Aïda

Le livret se trouve en ligne :

La partition pour voix et piano avec le texte original et une traduction en anglais se trouvent aussi sur le site de l'Indiana University Bloomington Libraries - William and Gayle Cook Music Library :

Le site de la Fondation Verdi

Quelques journaux et magazines consacrent des dossiers à Verdi

 La Libre Belgique

 L'Express

 Le Figaro

 Le Monde

 

Représentations en Belgique

La Monnaie : 30 janvier - 20 février 2002

Représentations en Europe

Duisburg, Deutsche Oper am Rhein : 5 mai - 20 juillet 2002
Gènes, Teatro Opera di Genova : 19 - 28 février 2002
Hambourg, Hamburgische Staatsoper : 9 avril - 1 juin 2002
Kiel, Bühnen der Landeshauptstadt : 5 janvier - 5 mai 2002
Munich, Bayerische Staatsoper : 16 - 23 juin 2002
 

Représentations dans le monde

 

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