L'ombre envahissante de Mahler

Un incident d'ordre privé marqua durablement la psychologie de Zemlinsky. Pédagogue recherché (outre Schoenberg, il fut aussi le professeur de Korngold) , Zemlinsky avait, parmi ses étudiantes, une jeune et très jolie demoiselle, Alma Schindler. Une idylle se noue, on parle de fiançailles. Malheureusement, Alma rencontre le directeur de l'Opéra, Gustav Mahler, s'en éprend et l'épouse. Zemlinsky sera effondré par la nouvelle. Croyant que sa laideur physique est à l'origine de ce retournement, Zemlinsky abordera tout au long de sa vie de compositeur le problème de la quête de l'identité.

Une autre anecdote illustre le côté autodestructeur de la nature trop scrupuleuse de Zemlinsky. Avec Schoenberg, Zemlinsky fonde la Vereinigung schaffender Tonkünstler in Wien pour "soutenir des ouvrages des compositeurs contemporains, dans la perspective d'un libre épanouissement de la personnalité artistique". Le 25 janvier 1905, le deuxième concert de l'association réunit, entre autres, le Pelléas et Mélisande de Schoenberg et Die Seejungfrau de Zemlinsky. Les deux partitions sont proches par leur volonté de montrer concrètement comment il était possible de tirer un trait sur l'antinomie entre musique pure et musique à programme et de créer une synthèse entre Brahms et Wagner. La création de l'oeuvre de Schoenberg focalise, une fois de plus, l'attention et les réactions positives et négatives du public au point de rendre littéralement inaperçu le reste du programme. Du coup, Zemlinsky annule un concert programmé peu de temps après à Berlin avec Die Seejungfrau.

Gustav Mahler avait déjà découvert le travail de Zemlinsky en programmant, en 1900, le deuxième opéra de Zemlinsky, Es war einmal, basé sur un conte d'Andersen.  Il avait été ébloui par la technique incroyable du jeune homme autant que par le manque d'originalité de sa musique qui est "remplie de réminiscences de tous genre". Cela n'empêcha pas Mahler de commander à Zemlinsky son troisième opéra Der Traumgörge [Görge le rêveur]. Malheureusement, Mahler est contraint de démissionner avant la création et son successeur retire la partition de la programmation. L'oeuvre disparut totalement, y compris du catalogue des oeuvres de Zemlinsky. Ce n'est qu'en 1980 que l'opéra fut créé à Nuremberg.

Görge, un jeune orphelin né au sein d'une communauté villageoise aux idées étroites, vit dans le monde de ses lectures et de son imagination, convaincu qu'un jour il réussira à concrétiser ses rêves. Trahi par sa fiancée, Grete, il quitte son village pour répondre à l'appel d'une princesse de rêve. Mais son séjour dans le monde cruel des grandes villes lui fera perdre une à une toutes ses illusions. Il est compromis dans une révolution prolétaire, tandis que sa compagne, Gertraud, se voit accusée de sorcellerie. Dégoûté, il rentre au village, où il mène à nouveau une vie paisible et rangée d'époux et de père de famille. C'est alors qu'il finit par comprendre que Gertraud n'est autre que la princesse de son rêve et que celui-ci s'est donc réalisé. Ainsi tout l'opéra oppose-t-il le rêve à la réalité, le subjectif à l'objectif, la naïveté à la conscience, la nature à la civilisation, dans une série d'antithèses aussi romantiques que possible.

Webern, qui pu accéder à la partition,  parle de l'invention mélodique inépuisable de Zemlinsky, par la variété des couleurs de l'orchestre mais surtout  de la combinaison géniale des formes traditionnelles avec une liberté toute nouvelle et les procédés du leitmotiv avec la technique de la variation de Brahms.

Déçu du sort réservé à sa partition, Zemlinsky retourne au Volksoper où il réalise des productions de haut niveau de la Salomé de Strauss ou de Tosca de Puccini. En 1910, il présente son ouvrage Kleider machen Leute [L'Habit fait le moine] où se retrouve un de ses thèmes de prédilection, la tromperie des apparences.


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