La présence de la nature


Cette dimension n’est évidemment pas étrangère à la composante traditionnelle chez ces peuples d’agriculteurs, de forestiers et de pêcheurs.

La terre, la mer, les eaux intérieures, les saisons, le cosmos, les animaux sauvages, les plantes sont omniprésents dans la mélodie nordique. Au travers des paroles, bien entendu, mais, parfois, aussi dans les ambiances musicales.

L’obsession de la lumière, très forte pour des raisons évidentes dans la mythologie scandinave, finit souvent par travailler l’inconscient musical des compositeurs. Ainsi, de nombreux accompagnements pianistiques évoquent irrésistiblement les scintillements lumineux, trahissant une attente fascinée des beaux jours.

Cette confrontation avec la nature – poussée à l’occasion au panthéisme - reste généralement primaire, au sens absolument non péjoratif du terme : il s’agit vraiment du contact physique, du regard paysan sur les éléments, la vie animale et végétale. En cela, la mélodie nordique diffère souvent dans son esprit du lied romantique allemand, où la nature prend une dimension plus métaphysique, ressentie plutôt comme un reflet des états intérieurs du poète que pour elle même.

Ouvrons, pratiquement au hasard, les textes de deux mélodies de Stenhammar pour en traduire, approximativement, deux fragments :

Chère vie, tu promets tellement
Lorsque nous tambourinons à ta porte
De nos phalanges avides.
Ouvre l’huis, souris si tendrement
Promets-nous l’or et des forêts l’émeraude…

Ici, de l’étreinte d’un flot de rocs moussus
Sourd claire et pure l’onde d’un mélodieux printemps
Ici la prairie est rarement foulée
Du pied de l’homme…

Ce « regard du terrien » (ou du marin) fasciné par la belle saison et son foisonnement organique, ne s’accompagne pas nécessairement d’hédonisme et de félicité. Loin de là.

L’âme nordique est souvent tourmentée et l’ambiance bascule rapidement de la lumière au drame. La nature devient alors le refuge de l’individu acculé, l’interlocutrice dans le malheur, l’ultime confidente, voire le chemin du non-retour. Veslemøy, délaissée par son amant, se perd dans les montagnes pour parler aux bêtes et aux éléments. Le suicide, composante fréquente de l’âme nordique, rôde çà et là. Ingalill, la belle rejetée des siens, se noie dans le lac.


   Soupirez, joncs; battez, vagues
   Me parlez-vous du sort de la jeune Ingalill ?
   Elle criait comme un canard blessé
   Lorqu’elle sombra dans le lac
   Au plus beau du dernier printemps…

 

On dit que ce trait existentiel relèverait du mode de fonctionnement des sociétés nordiques. D’une part, un grand besoin de dimension collective déterminé par la rudesse des conditions de vie traditionnelles, où l’individu isolé n’aurait pu survivre. D’autre part, et corrélativement, un puissant sentiment de responsabilité individuelle encore accentué par le luthéranisme. Enfin, une propension culturelle à ne pas extérioriser, surtout publiquement, ses états d’âme. Lorsque l’individu, pris dans un dilemme ou meurtri par un sentiment d’échec, ne peut plus faire face à la collectivité…

Nombreuses sont, en tout cas, les mélodies où une ivresse tranquille de la nature cède la place, parfois de manière très abrupte, au drame humain.

 


 

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