Editorial
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Travers-sons
Le passeport vers les musiques classiques  

 

Puristes s'abstenir !

 

Je m'interroge sur un petit paragraphe inséré délicatement dans le texte de présentation des Concertos pour clavier de Jean-Sébastien Bach par Murray Perahia. On croit comprendre que l'auteur de ce texte tente de justifier le choix du piano en lieu et place du clavecin. Il y est question d'un article paru en 1733 dans la gazette de Leipzig annonçant, je cite : … que l'ensemble de Bach comporterait désormais un clavecin "tel qu'on n'en a jamais entendu de pareil ici". Et le rédacteur d'imaginer que ce clavecin inouï ne pouvait être qu'un pianoforte et que, par conséquent, le choix d'un piano, tel que retenu pour cet enregistrement, est historiquement acceptable.

Il y a plusieurs choses qui me gênent dans tout cela. Tout d'abord, je n'ai pas les moyens de vérifier si, en 1733, Bach éprouvait un tel enthousiasme pour les prototypes de Silbermann qu'il les ait, d'emblée, imposés au public. Il me semble me souvenir que Bach, âgé, connut le pianoforte mais qu'il fut, pendant un certain temps, en mauvais termes avec Silbermann.

Tout compte fait … à quel âge Bach fut-il âgé ? en 1733, déjà…?

De plus, le pianoforte de l'époque n'a pas grand-chose de commun avec nos grands pianos de concert modernes, bien plus moelleux et sonores. Ce n'est donc pas un argument bien convaincant pour justifier du choix de ce dernier dans l'enregistrement dont il est question ici.

Croyez-moi, mon propos n'est pas la vérité historique. Que du contraire ! Mon agacement vient plutôt de ce qu'il faille encore, en 2001, justifier du choix d'un instrument moderne plutôt que d'un instrument d'époque.

Quand donc cessera-t-on de pourfendre les pianistes qui investissent Bach, Haendel, Scarlatti et bien d'autres encore dont l'œuvre s'accommode si bien d'être jouées sur un piano moderne ? Et il en est de même d'autres instruments que l'on veut à tout prix "d'époque ", comme s'il s'agissait d'un label absolu de garantie. La musique sur instruments d'époque reste, avant toute chose, de la musique et, s'il est vrai que la musique ancienne a retrouvé son lustre en étant jouée sur les instruments pour lesquels elle avait été pensée, elle n'interpelle vraiment que si l'interprète y apporte également une connaissance approfondie des règles de l'interprétation et de l'ornementation en usage en différents temps et lieux mais, surtout, s'il y apporte sa sensibilité, sa créativité, son engagement personnel, sources incontournables d'expression.

En définitive, au-delà de stériles querelles d'orthodoxie, n'est-il pas plus important de privilégier la musicalité et de s'ouvrir à toute interprétation, pourvu qu'elle ne trahisse pas le message du compositeur en dénaturant son oeuvre au profit de quelque obscure opération commerciale et, surtout, qu'elle ait assez de puissance et d'aura personnelles pour toucher l'âme de l'auditeur ? Pourquoi donc faire d'un répertoire une chasse gardée alors qu'il porte en lui toute la vision et la puissance d'une autre époque ? Pourquoi en arriver à devoir justifier le choix d'un instrument, comme s'il s'agissait d'excuser une maladie honteuse ?

Ce sont là les questions que notre métier de diffuseurs de la musique nous oblige à nous poser. Les liens que nous établissons avec notre public sont, au départ, fragiles. Ce public vient vers nous en confiance et formule des demandes qui reflètent à la fois son niveau d'information et sa sensibilité personnelle. Il est essentiel d'y être attentif et de respecter les demandes de chacun, dussent-elles aller à l'encontre de nos propres sentiments, de nos propres convictions. Il serait donc particulièrement indélicat d'infliger à quiconque le terrorisme d'une culture sectaire, qui ne souffre aucun égarement sur la route asphaltée de l'orthodoxie la plus rigoureuse, en opposant des arguments qui ne peuvent que décourager notre interlocuteur, compte tenu de la sphère peu étendue de ses connaissances. Ce que ce public ne demande qu'à découvrir est, avant tout, étroitement lié à ses goûts et à ses intérêts. Sa découverte constituera, le plus souvent, une extension de son bagage personnel. N'y aurait-il pire mépris que de détruire ce par quoi le plaisir de la musique est devenu, pour lui, réalité ? Y a-t-il plus grande richesse que de permettre à ce public d'élargir le champ de sa propre culture en l'invitant à ressentir de nouvelles émotions, lesquelles, à leur tour, l'entraîneront plus loin encore ?

Alors ? Bach : au piano ou au clavecin ?

Emotion ! C'est bien de cela qu'il est question tout au long de ce mois de mai pendant lequel le cœur de beaucoup d'entre nous bat au rythme du Concours Reine Elisabeth. Bientôt, après une semaine pleine de suspense, les lauréats seront connus et commencera pour eux le parcours, semé d'embûches, de la vie professionnelle. Etre parmi les premiers lauréats d'un concours, même d'un niveau tel que celui du concours Reine Elizabeth, cela aide mais ne garantit pas pour autant de pouvoir se hisser au faîte de la gloire. Notre site s'est mis au diapason de l'événement et, ce mois encore, il vous est loisible de préparer ou revivre ces soirées inoubliables en réécoutant les œuvres que vous avez aimées ou, simplement, de vous souvenir des lauréats anciens qui ont suscité votre enthousiasme lors de sessions antérieures en réécoutant leurs enregistrements. Vous verrez que plusieurs d'entre eux ont, depuis lors, fait d'étincelantes carrières tandis que d'autres ont presque disparu de nos mémoires. Sic transit…

Nos rubriques habituelles s'étoffent, ainsi que notre dossier "Musiciens wallons" dont la publication vous promet de nouvelles découvertes. Bientôt, l'été sera à nos portes, avec les désirs d'évasion qu'il éveille en nous. Occasion de se reposer, de se ressourcer et de réécouter, le cœur en fête, les plus beaux disques que nous avons épinglés pour vous depuis le premier numéro de ce magazine.

Très cordialement à vous !


Pierre Watillon
Rédacteur en chef

 

 

Autres éditoriaux : septembre 2000 - octobre 2000 - novembre 2000 - décembre 2000 - janvier 2001 - février 2001 - mars 2001 - avril 2001

 

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